OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sandy, histoire vraie images fausses http://owni.fr/2012/11/01/sandy-histoire-vraie-images-fausses/ http://owni.fr/2012/11/01/sandy-histoire-vraie-images-fausses/#comments Thu, 01 Nov 2012 11:30:58 +0000 Jean-Noël Lafargue http://owni.fr/?p=124658 L’ouragan Sandy, rapidement rebaptisé Frankenstorm, a atteint New York avant-hier, y causant aussitôt une dizaine de morts. Le quotidien Libération a alors publié un article titré Sandy touche terre et fait ses premières victimes, ce qui semble un peu léger, puisqu’avant d’atteindre la côte Est des États-Unis, le cyclone a tout de même fait au moins soixante-quinze morts dans les Caraïbes, dont cinquante sur la seule île d’Haïti.

Frankenstorm menaçant New York / une tempête dans le Nebraska, photographiée par Mike Hollingshead.

Le cliché ci-dessus à gauche, qui représente l’ouragan en train de menacer New York a été partagé plus d’un demi-million de fois sur Facebook. Beaucoup, y compris parmi ceux qui ont diffusé cette image, ont eu des doutes sur sa véracité, notamment puisqu’il anticipait sur les évènements. Vérification faite, il s’agissait bien d’un montage entre une vue classique de la statue de la liberté et une tempête de 2004 dans le Nebraska.

Cela m’a rappelé un cas sur lequel je suis tombé en préparant mon livre. Une agence d’images sérieuse proposait à la vente une photographie impressionnante censément prise à Haïti il y a deux ans, où l’on voyait des palmiers noyés par une vague géante [ci-dessous]. Jolie image, mais qui me posait un problème car il n’y a pas eu de tsunami en Haïti en 2010. Alors j’ai fait quelques recherches…

Vérification faite, la photographie en question s’avère être un recadrage et une colorisation d’un cliché pris à Hawaïi en 1946 par Rod Mason, un simple amateur qui se trouvait alors directement menacé par le tsunami Hilo, qui a causé en son temps la mort de cent soixante personnes. Un photographe indélicat avait vendu à l’agence cette image ancienne, qui ne lui appartenait pas, remixée en tant que photographie d’actualité récente.

Revenons à Sandy. Plusieurs montages faciles à identifier ont été réalisés en incrustant des titres d’actualité à des captures issues des films-catastrophe de Roland Emmerich : Independance Day (1996), The Day After Tomorrow (2004) et 2012 (2009), ou encore en utilisant des images du film coréen The Last Day (2009).

Les titres d’actualité de Fox News incrustés sur une image issue du film The Day After Tomorrow.

Parmi les images qui ont beaucoup circulé, on a aussi pu voir un certain nombre de photographies de requins circulant dans les villes inondées. Je ne suis pas certain qu’il y ait beaucoup de requins aussi haut qu’à New York à la fin du mois d’octobre, ces animaux n’aimant pas les eaux froides, mais l’idée du requin qui se balade dans le jardin est délicieusement effrayante.

Parmi les images très populaires, il y a aussi eu celle de ce restaurant McDonald’s inondé :

…Il s’agit en fait d’un photogramme extrait d’un film réalisé en 2009 par les artistes danois Superflex et intitulé Flooded McDonald’s, c’est à dire littéralement McDonald’s inondé.

Toutes ces images, déjà factices ou sorties de leur contexte ont assez rapidement suscité des parodies, bien sûr.

L’image ci-dessus à gauche cumule diverses menaces de cinéma : Godzilla, le requin géant des dents de la mer ou de Shark attack, des soucoupes volantes, le marshmallow man du film Ghostbusters. On retrouve aussi Godzilla derrière la statue de Neptune de Virginia Beach.

Dès que l’on parle de catastrophe à New York, comment se retenir de penser au cinéma ? Le problème s’était déjà posé le 11 septembre 2001. Nous avons vu cette ville si souvent détruite : Godzilla (1998), La guerre des mondes (2005), Cloverfield (2008), Avengers (2012),…

Parmi les images de reportage qui ont été produite par des photographes professionnels pour des médias d’information, on en trouve beaucoup qui elles aussi semblent s’adresser à notre imaginaire de cinéphile plus qu’autre chose :

Haut : Bebeto Matthews. Bas : Andrew Burton.

Composition soignée, éclairage dramatique, couleurs étudiées, ces photos sont belles avant d’être informatives, et ont sans doute été retouchées dans ce but.

Quant aux photos d’amateurs, elles sont encore plus troublantes, car beaucoup ont envoyé sur Facebook ou Twitter des témoignages parfois dramatiques de ce qu’ils voyaient, mais modifiés par les filtres fantaisistes d’Instagram :

Des reportages amateurs publiés à l’aide d’Instagram par (de haut en bas et de gauche à droite) Caroline Winslow, @le_libron, @bonjomo et Jared Greenstein.

Ces images prises avec des téléphones portables se voient donc appliquer des couleurs rétro, passées, ou d’autres effets censés rappeler la photographie argentique.

Finalement, les seules images qui semblent un tant soit peu objectives, ce sont celles qui sont prises par des caméras de surveillance ou des webcams :

Je ne suis pas sûr qu’il rimerait à quelque chose de faire des statistiques pour le vérifier, mais il semble que la très grande majorité des images que nous recevions de l’ouragan Sandy et de ses effets sur la côte Est des États-Unis, une histoire “vraie”, soient des images “fausses”, c’est-à-dire qui s’écartent sciemment de l’illusion du témoignage objectif : montages, retouches, images d’archives, images d’actualité ayant l’apparence de photos d’archives, pastiches, images extraites de films. Et il n’est pas forcément question de tromperie, puisque c’est le public, par les réseaux sociaux, qui sélectionne les images qui circulent, qui les diffuse et, parfois, qui les crée.

C’est le public aussi qui effectue des enquêtes sur les images et qui fait ensuite circuler en pagaille des démentis (parfois douteux ou incomplets) pour signaler que telle image est ancienne et que telle autre est falsifiée. Le public n’est pas forcément désorienté, pas dupe de la confusion, il y participe sciemment, peut-être suivant l’adage italien se non è vero è bene trovato : si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé.

La question n’est donc peut-être pas de chercher à transmettre une vérité sur ce qu’il se passe à New York, mais juste de répondre à un évènement par des images et donc, par un imaginaire.


Article publié à l’origine sur le blog de Jean-Noël Lafargue, Hyperbate.

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Pinterest épinglé par le droit d’auteur http://owni.fr/2012/02/28/pinterest-epingle-par-le-droit-dauteur/ http://owni.fr/2012/02/28/pinterest-epingle-par-le-droit-dauteur/#comments Tue, 28 Feb 2012 18:10:45 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=100003

Élu meilleure startup par TechCrunch en 2011, le réseau social Pinterest a le vent en poupe aux Etats-Unis et commence à faire parler de lui en France.  Déjà considéré comme “le nouveau Facebook” par certains, le site est le premier début 2012 à avoir atteint aussi rapidement une audience de 10 millions de visiteurs par mois.

Ce succès fulgurant cache néanmoins une polémique grandissante à propos du respect par le site des règles du droit d’auteur, car la contrefaçon semble inscrite dans ses principes même de fonctionnement. Reprenant le principe des visuals bookmarks, Pinterest permet en effet à ses utilisateurs de constituer un tableau en “épinglant” (to pin en anglais) leurs découvertes faites sur le web, à la manière d’un mur Facebook et de les partager avec les autres membres du réseau. A cette occasion, les images épinglées sont copiées sur les profils des utilisateurs de la plateforme, avec normalement un lien en retour qui procure aux sites d’origine un trafic intéressant.

Mais cette forme de compensation n’a pas paru suffisante à un nombre grandissant de producteurs de contenus graphiques, et notamment des photographes, qui ont considéré que Pinterest se livrait à une forme de parasitisme dommageable, et ce d’autant plus que le site a développé très tôt un modèle économique basé sur l’affiliation de liens. Certains sont allés plus loin et n’ont pas hésité à affirmer qu’un site comme Pinterest justifiait le vote des terribles lois SOPA/PIPA !


Pinterest n’est pas resté sourd à ces protestations et a réagi il y a quelques jours, en mettant à disposition un shortcode “nopin”, permettant à ceux qui le souhaitent de bloquer le fonctionnement du bookmarklet proposé par la plateforme, afin de pouvoir épingler directement les contenus à partir des navigateurs internet.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ces turbulences juridiques traversées par Pinterest soulèvent des questions plus générales, liées aux pratiques de partage des contenus sur Internet, et notamment au statut particulier des images. Il s’inscrit également dans la lignée des problèmes rencontrés par les sites de curation, qui peuvent se heurter à la rigidité actuelle des règles du droit d’auteur. Le cas de Pinterest soulève aussi des questions plus troublantes, car en y regardant de plus près, la start-up de l’année 2011 n’est peut-être pas si différente d’un MegaUpload, considéré comme l’antéchrist du copyright et débranché manu militari par le FBI, il y a quelques semaines.

Pinterest, sage comme une image ?

Reposant essentiellement sur des User Generated Content (UGC),  Pinterest s’appuie juridiquement sur les règles garantissant aux hébergeurs de contenus une limitation de responsabilité. Aux Etats-Unis, le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) offre ainsi une sphère de sécurité (safe harbour) à ce type d’opérateurs, dont la responsabilité n’est engagée que s’ils ne retirent pas des contenus illégaux qui leur sont signalés par le biais d’une demande de retrait (takedown notice).

L’interface de Pinterest tient compte de ces paramètres juridiques en mettant à la disposition des titulaires de droits, en regard de chaque image partagée, un bouton de notification de violation de copyright renvoyant à un formulaire en ligne. Bien que certains analystes aient pointé du doigt des failles dans la procédure mise en place par le site, l’équipe de Pinterest assure déployer tous les efforts requis pour donner suite convenablement aux demandes de retrait.

Pinterest, capture d'écran du 28 février 2012

Néanmoins, un des désavantages de ce régime réside dans le fait qu’ils rejettent la responsabilité des contenus sur les utilisateurs du site et Pinterest n’échappe pas à la règle. Ses Conditions Générales d’Utilisation (CGU) indiquent clairement que les membres de Pinterest doivent être titulaires des droits sur les contenus qu’ils partagent ou qu’ils doivent disposer de l’autorisation explicite de leurs auteurs, à défaut de quoi ils engagent leur propre responsabilité :

You represent and warrant that: (i) you either are the sole and exclusive owner of all Member Content that you make available through the Site, Application and Services or you have all rights, licenses, consents and releases that are necessary to grant to Cold Brew Labs the rights in such Member Content, as contemplated under these Terms; and (ii) neither the Member Content nor your posting, uploading, publication, submission or transmittal of the Member Content or Cold Brew Labs’ use of the Member Content (or any portion thereof) on, through or by means of the Site, Application and the Services will infringe, misappropriate or violate a third party’s patent, copyright, trademark, trade secret, moral rights or other proprietary or intellectual property rights, or rights of publicity or privacy…

Comme le remarque certains commentateurs, il y a dans ces conditions une part certaine d’hypocrisie, car Pinterest est parfaitement conscient qu’il n’est pas un Flickr ou Picasa, destinés à stocker des images créées par leur auteur sur un compte personnel, mais bien un site de curation fonctionnant sur le principe de la republication de contenus. Certains vont jusqu’à dire que 99% des contenus du site sont partagés en violation des termes de service. Par ailleurs, l’interface encourage “fonctionnellement” ce type de partages, notamment par le biais du bouton “Pin it” mis à disposition des utilisateurs. Dans la présentation faite par le site de ce bouton, on peut lire notamment :

Once installed in your browser, the “Pin It” button lets you grab an image from any website and add it to one of your pinboards.

Cette incitation au partage pourrait d’ailleurs selon certains faire perdre à Pinterest le bénéfice de la limitation de responsabilité offerte par le DMCA, en le rendant coupable de “complicité de violation de copyright“.
Ce débat est intéressant, mais à ce compte-là, il faut l’étendre à beaucoup d’autres sites phares du web, puisqu’on retrouve ce même type de dispositions par exemple sur Facebook ou sur YouTube. Et cette question du partage des responsabilité entre l’hébergeur et les utilisateurs de la plateforme est également au coeur de l’affaire MegaUpload

Fair use or not ?

Indépendamment des règles de responsabilité, une autre question qui revient dans les analyses américaines consiste à savoir si Pinterest pourrait s’abriter derrière le fair use (usage équitable). Ce mécanisme d’équilibre de la propriété intellectuelle aux Etats-Unis, dont on évoque d’ailleurs de plus en plus fréquemment l’intérêt d’une transposition en Europe, permet en effet d’utiliser des contenus protégés, à condition de respecter un certain nombre de critères, parmi lesquels le fait de ne pas porter atteinte au marché potentiel de l’oeuvre.
A la lecture des commentaires, on se rend compte que les avis se divisent sur le point de savoir si l’usage que Pinterest fait des contenus est “équitable”. La plupart des juristes considèrent que l’application en justice du fair use à un tel site serait plus qu’aléatoire, notamment parce que Pinterest permet de republier et de stocker des reproductions intégrales des images, dans une bonne définition. Ces copies constitueraient des versions concurrentes des images originales, susceptibles de siphonner le trafic du site qui les héberge, surtout que dans certains cas des créateurs de contenus se plaignent qu’aucun lien en retour n’est fait vers leur site, ni mention du nom de l’auteur. Des recommandations figurent pourtant en ce sens dans la Pin etiquette, pour encourager les bonnes pratiques.
Néanmoins, ce type de jugements négatifs ne fait pas l’unanimité, notamment au sein de la communauté des photographes, pourtant globalement portés à considérer que Pinterest “vole” leurs contenus. L’un d’entre eux, Trey Ratcliff, s’est distingué, en publiant un billet incitant les photographes à arrêter de considérer chaque évolution comme une menace, pour essayer de saisir les opportunités offertes par les innovations du web.

Le compte Pininterest de Trey Ratcliff/capture écran

Il constate par exemple que le fait que ses photos soient reprises sur Pinterest a provoqué une augmentation de 15% du trafic de son site et que cet accroissement d’audience lui procure de nouvelles opportunités commerciales :

Most people in the world are good people. If they find digital art they want to buy for a print or use in a commercial campaign, they will figure out a way to get you money. 99% of your traffic is truly “window-shoppers.” They will look at your goods, take note, enjoy them and move on. But 1% will want to make a personal or business transaction with you. Despite what fear-mongers have told you, everyone will not steal your images. Most legitimate companies will work out a proper licensing arrangement with you.

Une relation Gagnant/Gagnant pourrait ainsi s’instaurer entre Pinterest et les fournisseurs de contenus, mais cette façon de “payer” les créateurs en trafic et en visibilité ne suffit certainement pas à satisfaire aux exigences du fair use américain.
La comparaison est pourtant souvent faite avec Google Images, qui a fini par l’emporter en justice, sur la base du fair use justement, contre des créateurs de contenus qui se plaignaient que ses robots indexent et copient leurs images. L’analogie est en effet tentante, mais Pinterest ne se contente pas d’afficher simplement des vignettes, comme le fait Google, qui de surcroît ne stocke que de manière temporaire les images qu’il indexe.
Au final, sentant que le fair use ne pourrait sans doute pas suffire à le protéger en cas de contentieux, Pinterest s’est orienté vers une autre voie, en proposant un système d’opt-out (option de retrait).

L’opt-out comme solution ?

Comme on l’a vu plus haut, Pinterest propose à présent un shortcode à implanter sur les sites internet, permettant de bloquer le bookmarklet mis à la disposition des utilisateurs de la plateforme pour partager les images directement depuis leur navigateur. Quelques jours après cette annonce, le site Flickr, qui constituait la troisième source des contenus partagés sur Pinterest a décidé de mettre en place automatiquement ce code sur toutes les photographies copyrightées qu’il héberge.
Cette solution technique a été saluée comme une avancée et une preuve de bonne volonté de la part de Pinterest, mais elle divise encore visiblement la communauté des producteurs de contenus, qui se demandent s’ils doivent accepter ce procédé ou aller encore plus loin dans leurs revendications. Certains font valoir par exemple que beaucoup de créateurs ne pourront pas faire jouer l’opt-out, tout simplement parce qu’ils n’ont pas la main sur leur site et ne peuvent implanter la ligne de code proposée. La solution n’est pas non plus parfaite sur le plan technique, puisqu’il restera possible “d’épingler” les photos à partir de Google Images, même si l’on a verrouillé son propre site.

Le site de musique Grooveshark/capture écran

Mais surtout, juridiquement, l’opt-out ne constitue pas un moyen de se mettre en accord avec les règles du droit d’auteur. Celui-ci implique en effet un consentement préalable explicite des titulaires de droits et nul n’est fondé à faire jouer la règle du “qui ne dit mot consent”.
Encore faut-il peut-être nuancer ces affirmations. En effet, en ce qui concerne les moteurs de recherche, la jurisprudence a  admis dans  les années 2000 que l’indexation du contenu des sites web et leur stockage temporaire en cache sur les serveurs de Google constituaient bien des usages compatibles avec le fair use américain. Mieux encore, les juges ont considéré qu’il était équitable que les sites puissent faire jouer seulement un opt-out, pour demander à ce que les robots d’un moteur de recherche n’indexent pas son contenu.
Le problème, c’est que cette jurisprudence libérale n’a pas été étendue à d’autres formes d’usage des contenus. Google en a d’ailleurs fait l’amère expérience des deux côtés de l’Atlantique, à la fois  en ce qui concerne Google Actualités par exemple, ou Google Books pour lequel il a essayé d’imposer une solution d’opt-out.

Cette absence de valeur en justice de l’opt-out fait que certains demandent maintenant à Pinterest de mettre en place un opt-in, qui pourrait par exemple prendre la forme d’un bouton de partage dédié que les producteurs de contenus installeraient sur leur site pour manifester leur consentement et donner un moyen d’exporter leurs images.
La question cependant, c’est que si on impose cette solution à Pinterest, pourquoi ne pas exiger la même chose de quasiment tous les médias sociaux, qui permettent des republications de contenus, et en particulier les sites de curation ?

Les affres juridiques de la curation

La polémique qui frappe Pinterest a quelque chose de surprenant, car à vrai dire, les sites qui pourraient soulever ce genre d’accusations de violation du copyright sont légion. Tumblr par exemple, autre réseau social qui a le vent en poupe en ce moment aux Etats-Unis, fonctionne aussi  largement sur la republication de contenus graphiques et propose un bouton de partage à partir des navigateurs. Que dire également de StumbleUpon dont le principe consiste depuis longtemps à partager ses trouvailles avec son réseau en cliquant sur un bouton au fil de la navigation ?
Plus largement, des questions juridiques assez similaires avaient surgi l’année dernière, au moment du buzz autour des sites de curation. J’avais pour ma part alors essayé de montrer que c’était justement en grande partie les problèmes liés à la réutilisation des images qui fragilisaient fortement la condition juridique des pratiques de curation. Des sites comme Scoop-it ou Pearltrees soulèvent finalement des questions assez proches de celles qu’agite Pinterest en ce moment. Sans doute est-ce la croissance rapide de ce dernier qui a fait exploser les critiques, jointe au fait que le site dispose d’emblée d’un modèle économique. On peut cependant à présent se demander si  une propagation de ces revendications ne va pas se produire, qui pourrait affecter l’ensemble du paysage des médias sociaux.
Mais les parallèles que l’on peut faire à propos de cette affaire ne s’arrêtent pas là…

Entre Pinterest et MegaUpload, une simple différence de degré ?

En voulant s’attaquer à Pinterest, plusieurs commentateurs ont fait des comparaisons directes avec des sites qui ont jalonné l’histoire du piratage sur Internet. On trouve ainsi des billets affirmant que Pinterest constitue “le nouveau Napster” ou qui se demandent s’il ne ressemble pas davantage “à Grokster qu’à Facebook“.

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Ces accusations ne sont pas anodines, car ces sites de partage de contenus ont fini par être fermés, suite à des procès intentés par les industries culturelles américaines, qui ont réussi à les priver de la protection accordée aux hébergeurs de contenus.
En allant plus loin, on peut faire un parallèle entre la polémique soulevée par Pinterest et une plainte en cours déposée par des titulaires de droits à l’encontre du site musical Grooveshark : ce site est attaqué parce qu’il permettait à des utilisateurs de charger des fichiers sur sa plateforme et de les diffuser publiquement en streaming, alors même que Grooveshark proposait un partage des revenus publicitaires avec les artistes et les producteurs.

La question que je pose est la suivante : au fond, quelle différence existe-t-il entre un Pinterest et un Grooveshark ? Et avec un MegaUpload ?

Il y a bien entendu des différences sensibles au niveau du modèle économique, mais s’agit-il d’une différence de nature ou simplement de degré ?
Cela signifie qu’entre la startup de l’année et un site considéré à présent comme l’incarnation juridique du mal par excellence, il existe un continuum, créé par  la rigidité actuelle du droit et son incapacité à saisir et organiser de manière équilibrée les échanges de contenus entre utilisateurs.

Une autre photo de la guerre du web

Une autre photo de la guerre du web

Passée la dimension policière de l'évènement, l'affaire MegaUpload a ravivé les débats sur la gestion des droits ...

C’est aussi cette raison qui devrait nous faire frémir quand des personnes réclament l’application de systèmes aussi brutaux que la loi SOPA aux sites comme Pinterest, car comme je l’ai montré ci-dessus, c’est quasiment l’ensemble des médias sociaux qui peuvent soulever des critiques similaires et qui demeurent à la merci des attaques des titulaires de droits.

Il sera sans doute intéressant de voir ce qui se produira lorsque Pinterest commencera à se développer en France. Comme je l’ai montré dans une chronique précédente, la communauté des photographes français se montre particulièrement hostile aux pratiques de partage de contenus. Par ailleurs, en l’absence d’un fair use, le droit d’auteur français n’autorise qu’un usage très limité des images, ce qui avait conduit l’an dernier à une condamnation retentissante de Google Images.
C’est pourtant toute une partie du développement de l’économie numérique qui se joue derrière les enjeux soulevés par l’affaire Pinterest et des firmes innovantes auront du mal à émerger si elles peuvent à tout moment se faire ainsi “épingler” pour violation du droit d’auteur…


Illustration de la chronique du copyright par Marion Boucharlat pour Owni /-)
Captures d’écrans.

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Sarkozy détourné de son image http://owni.fr/2012/02/19/sarkozy-detourne-de-son-image/ http://owni.fr/2012/02/19/sarkozy-detourne-de-son-image/#comments Sat, 18 Feb 2012 23:25:34 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=99004

Selon la formule célèbre du livre Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, de Karl Marx, les grands événements historiques se répètent, “la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce.” Cette fois, c’est sûr, on est dans la farce.

Telle était du moins l’impression que produisait l’accueil de l’annonce de la candidature de Nicolas Sarkozy aux prochaines présidentielles sur les réseaux sociaux. Pendant qu’une grande partie de la presse s’efforçait de nous convaincre que les choses sérieuses allaient enfin commencer, les outils de l’appropriation s’emparaient du slogan et de l’affiche de campagne pour une série de détournements dévastateurs.

Un slogan giscardien, une affiche mitterrandienne: les communicants sarkozystes ne brillent pas par leur imagination. La seule tentative qui sortait de la routine était celle de décliner la métaphore du capitaine courage, utilisée par le candidat lors de son allocution télévisée. Mais l’option du fond marin pour habiller l’image était un choix risqué, véritable appel du pied aux blagues et au second degré après l’échouage du Costa Concordia ou la proximité de la sortie du film La mer à boire.

Ça n’a pas raté. Avec une réactivité significative, les premiers détournements mettaient en scène Sarkozy en capitaine naufrageur (voir ci-dessus), suivis de près par le baigneur naturiste du catalogue La Redoute.

A l’époque mitterrandienne, la présence d’un fond uni ou d’un emplacement vide était un choix visuel sans risque particulier. A l’ère du mème et de la retouche, c’est une provocation à la satire. La simplicité graphique de l’affiche La France forte, composée de 3 éléments nettement distincts – le personnage, le slogan et le fond – se prête admirablement à l’appropriation. Constatant le succès du mème, le mouvement des Jeunes socialistes proposait dès le milieu de la matinée un générateur automatique permettant de modifier le slogan ou d’appliquer diverses variations à l’image.

Outre “la France morte”, on a pu noter le succès récurrent de l’adaptation culinaire du slogan, remixé en “Francfort”, allusion à l’empreinte du modèle germanique qui hante la candidature Sarkozy (voir ci-dessus).

Que le net s’empare d’un contenu politique et le détourne, quoi de plus normal ? Mais on n’a pas constaté pareille explosion satirique à l’endroit de François Hollande, dont la campagne, si elle peine à soulever l’enthousiasme, ne provoque pas non plus d’opposition massive. La rage mordante de la caricature s’adresse bien au président sortant, dont le moindre discours paraît définitivement inaudible, menacé par l’inversion et la raillerie. Révélateur de l’exaspération qu’il suscite, le sarcasme le plus cruel a consisté à mimer l’effacement du candidat sur sa propre affiche, jusqu’à la disparition (voir plus haut).

L’écart est frappant entre cet accueil et le sérieux avec lequel la plupart des grands médias continuent de considérer une campagne menacée par le naufrage avant même d’avoir commencé. Qui, à part Alain Duhamel, croit encore que Sarkozy est capable de rééditer Marengo et de l’emporter in extremis par un retournement inouï ? Mais le storytelling d’un combat gagné d’avance ne fait pas les affaires de la presse, qui attend depuis des mois le pain béni de la présidentielle, et qui fera tout pour donner à des chamailleries de cour de récréation les couleurs d’affrontements homériques.

Pendant ce temps, la France ricane, et s’amuse plus sur Facebook que dans les mornes sujets du JT. Une divergence de perception qui rappelle le traitement de l’affaire DSK – et n’annonce rien de bon pour la suite…


Cet article, que nous rééditons ici, a été initialement publié sur Culture Visuelle

Crédits Photos CC FlickR André Gunthert

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Le Costa Concordia psychanalysé http://owni.fr/2012/01/30/le-costa-concordia-psychanalise/ http://owni.fr/2012/01/30/le-costa-concordia-psychanalise/#comments Mon, 30 Jan 2012 17:04:44 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=96459

Pourquoi les images lointaines et de cet immense hôtel flottant couché dans l’eau sur son flanc droit, sur un fond rocheux, à six brasses seulement de la côte, sont-elles si récurrentes dans les illustrations de presse concernant le naufrage du Costa Concordia ? A voir la quantité et la diversité des images disponibles sur le site Imageforum, ou sur certaines galeries d’images qui complètent généralement l’iconographie des articles consacrés à la catastrophe maritime, on se rend compte que d’une part l’événement est d’une grande importance visuelle pour les médias et que d’autre part la plupart des choix éditoriaux effectués par les sites de presse observés ont très vite privilégié un certain type d’images, pour ne pas dire une seule image, récurrente, celle du grand hôtel qui prend l’eau impliquant la présence (visible ou non) d’un spectateur fasciné par l’énormité de ce qui a bel et bien sombré… On note aussi une surenchère dans la composition et l’esthétisme des images qui montrent l’épave du paquebot, surenchère esthétique qui fait de l’épave un “beau” spectacle à regarder… voir un aperçu des illustrations du monde.fr, du Figaro.fr et de Libération.fr.

Deux figures ressortent ainsi de l’iconographie de ce naufrage, la principale ; celle de l’épave qu’on a même montrée vue d’un satellite pour en attester la grandeur et en face, celle du capitaine, le coupable. Un capitaine qu’on a peint comme étant un flambeur, un irresponsable et un couard… Entre les deux, les naufragés, très nombreux, n’ont presque pas été représentés dans la presse française, ils commencent seulement à réapparaître dans des articles qui évoquent leur indemnisation, mais ils n’ont pas retenu l’attention des équipes éditoriales qui, dès le début, le 14 janvier au matin, ont plutôt choisi de montrer l’image exceptionnelle et spectaculaire d’une gigantesque épave où reposent probablement encore les corps de quinze disparus (le bilan provisoire et de 17 morts et 15 disparus).

Une vidéo filmée par un père de famille est bien venue illustrer la panique vécue par les passagers, mais ce n’est finalement pas cette option vernaculaire qui a été majoritairement retenue par la presse en ligne, qui est restée fixée sur l’épave, vue sous tous les angles, avec à la base de la perspective, du côté du spectateur, le plus souvent, un bout de terre ferme, une maison ou même un spectateur tiers. Et même cette image-ci qui a fait surface mercredi 25 janvier par l’intermédiaire de l’agence AP et qui pouvait avoir un caractère “informatif” puisqu’il s’agit d’une vue de l’événement, n’a pas été reprise dans la presse française (je ne l’ai trouvée que chez Paris-Match) alors qu’elle l’a été assez largement dans la presse anglo-saxone… Elle met le spectateur dans une position de voyeurisme plus délicate et interdit toute délectation devant le spectacle de la grande maison en train de sombrer… Or ce qui est en jeu ici, ce ne sont pas les victimes, mais la vulnérabilité et le gigantisme du navire… pas la détresse des passagers…

Cette fixation française (mais aussi italienne apparemment, cliquer sur les articles pour voir les illustrations) sur la figure du “naufrage avec spectateur” est donc un symptôme, signalé en tant que tel par son caractère répétitif et son caractère emblématique; un symptôme qui nous présente bien autre chose que ce qui est censé être mis en jeu par l’image dans le contexte journalistique de la couverture de l’événement. Loin d’informer, c’est ici une évidence, les prouesses esthétiques des photographes et la fascination partagée pour l’épave vue de la terre ferme, dont témoignent ces images, me semblent viser un autre but, nous manifester autre chose.

L’approche psychanalytique est ici un recours utile à l’interprétation éclairée des images. Non qu’il s’agisse de considérer l’inconscient des sujets réels à l’origine de ces choix d’images, ce serait techniquement impossible et humainement vain, mais parce qu’il est possible, en revanche, de postuler l’existence d’un inconscient (ou d’un impensé) de l’image de presse, comme il existe un inconscient de l’oeuvre d’Art, qui échappe résolument aux errements et aux approximations de la psychobiographie, mais qui se livre volontiers à l’”écoute” attentive de l’analyste des images, si ce dernier prend telle image enkystée dans l’imaginaire médiatique immédiat comme un symptôme, comme un moyen de manifester autre chose que ce qu’elle dit ouvertement. La particularité de ce travail et la grande différence avec la situation analytique, c’est qu’ici, l’analyste participe du sujet énonciateur, il constitue avec l’instance qui formule le récit (l’organe de presse) une sorte de chimère où il est à la fois origine et destinataire de l’image.

C’est son imaginaire qui est dans l’illustration, elle le constitue, et dans le même temps elle s’adresse à lui… comme un rêve au fond, qui est un message à l’intention de la conscience, message parfois sans réponse mais parfois bien reçu par le sujet. Ainsi, l’illustration de presse constitue mon rêve, elle donne une matière à la manière dont je me représente ce qui hante mon monde sans que je puisse le voir… Où puis-je voir la détresse de Sarkozy devant la montée en puissance de François Hollande ? Où puis-je sentir la menace que représente la perte du AAA par la France ? Qui prendra la figure de cette hantise du déclassement qui travaille de plus en plus les classes moyennes des pays riches ?

"Des badauds regardent les opérations de secours..." 22 janvier 2012 sur le site du Courrierpicard.fr (AFP)

C’est l’image de presse, qui accompagne le récit “objectif” du monde que me fait la presse, qui me fournit la matière de ce rêve…

Ainsi, s’il est conditionné par des règles matérielles précises (abonnement à telle agence, conditions immédiates d’édition, concurrence et recherche de l’effet prosécogénique…) le choix de telle ou telle illustration est aussi soumis à des interdits “éthiques”, une instance surmoïque de censure, qui varie en fonction de la ligne éditoriale de l’organe de presse… On imagine mal la pirogue de Sarkozy à la Une du Figaro.fr, à moins que Dassault ne choisisse de soutenir Bayrou… En tout cas, l’image est le terrain où passe ce qui ne peut pas passer dans un énoncé verbal trop explicite, et il n’est alors pas incompréhensible que des choses y passent qui ne soient pas parfaitement formulées a priori par les journalistes qui les choisissent.

Contrairement à ce qu’ils tendent à faire croire, ils ne maîtrisent pas tout leur propos et surtout pas la compréhension qu’on peut en avoir… Ils ont eux aussi un inconscient, ils sont les échos sonores de leur temps et à ce titre reçoivent et projettent en permanence l’imaginaire social qu’ils partagent avec les lecteurs de leur organe. Ils sont autant les aèdes de notre temps que des scientifiques menant enquête sur la vérité… Il faudrait qu’ils soient bien prétentieux pour s’exclure par principe des règles universelles de la communication qui veulent que chaque énoncé visuel ou verbal porte en lui une part de non-dit logée clandestinement dans les plis du signifiant.

André Gunthert en fait la démonstration magistrale ici, l’implicite des images de presse, nié farouchement par ceux qui en jouent plus ou moins consciemment, n’échappe pas à toute interprétation dans la mesure où le contexte d’usage des images leur donne une orientation. Montrer Sarkozy dans une pirogue n’aurait pas eu le même sens dans un autre contexte, et c’est ce contexte informulé qui hante les images, et elles y renvoient le plus souvent de manière allégorique. Mais au-delà du contexte qui pourrait être à l’image de presse ce que les restes diurnes sont aux rêves dans la théorie freudienne, nous pouvons aussi nous intéresser au désir inconscient que libère ou manifeste l’image de presse, dans l’innocence même de son expression implicite, elle occupe une place importante dans l’économie du rapport imaginaire qu’elle établit entre le lecteur et le monde qu’elle lui donne à voir. Elle crée des soubassements fantasmatiques à partir desquels le spectateur-lecteur du journal va aborder la réalité.

En France donc, nous nous souviendrons de ce naufrage à partir de la relation de spectateur sur la terre ferme regardant une grande maison prendre l’eau, et non comme passager paniqué cherchant à trouver la sortie ni comme spectateur voyeur regardant les autres essayer de s’en sortir… Le Costa Concordia, contrairement au Titanic revu par James Cameron, ne sera pas le lieu d’une panique totale, mais une belle épave couchée sous la lune. Et nous la contemplerons comme de simples badauds innocents venus après la tempête voir le fruit du naufrage.

Dans son essai Naufrage avec spectateur, le philosophe Hans Blumenberg évoque l’ancienneté et la récurrence de cette métaphore nautique du “naufrage avec spectateur” comme une expression de la position philosophique, position aussi de l’historien devant l’histoire.

“C’est le Romain Lucrèce qui a forgé cette configuration. Le deuxième livre de son poème du monde s’ouvre sur l’image d’un spectateur qui, à partir de la terre ferme, observe la détresse d’autrui aux prises avec la mer secouée par la tempête (…) Certes l’agrément que ce spectacle est censé procurer n’est pas dans les tourments qu’endure autrui, mais dans la jouissance de savoir que sa propre position n’est pas menacée. Il ne s’agit pas du tout des relations entre hommes, souffrants et non-souffrants, mais du rapport du philosophe à la réalité : de l’avantage que représente – grâce à la philosophie d’Epicure – le fait de disposer d’une base ferme et inattaquable pour considérer le monde.”

Ainsi, cette image récurrente pourrait être le symptôme capable d’exprimer de façon indirecte le désir de terre ferme qui hante les passagers d’une Europe en perdition. Les plus grandes maisons flottantes peuvent sombrer et il est question ici, par ces images impressionnantes, de se sentir à la fois menacés et à l’abri de la menace, sur la terre ferme, tout en ayant conscience de la possibilité du naufrage, de l’agitation des flots et de la confusion entre le liquide et l’habitat. La figure d’un capitaine inconscient et soit disant puéril, sorte de trader gominé qui a voulu flamber (on lui a même prêté une relation avec une étrange jeune femme moldave) vient renforcer opportunément la lecture morale qu’on peut faire de ce mythe qui trouve sa matrice dans l’histoire du Titanic, autre géant des mers, autre hôtel flottant, autre symbole de la démesure humaine, autre tour de Babel, qui avait lui aussi payé très cher son orgueil et sa puissance économique.

Selon la manière dont les choses ont été présentées, Schettino serait à la compagnie Costa ce que Nick Leeson était à la Barings, ou Jérôme Kerviel à la Société Générale, un employé flambeur et inconscient. Or rien n’est encore avéré, mais la lecture spontanée des médias et les choix iconographiques que nous avons pointés ici témoignent d’une production imaginaire orientée par une nécessité interne. Mettre le spectateur en lieux sûrs sur la terre ferme et lui faire apprivoiser l’épave. Il n’est peut-être pas anodin d’ailleurs que ce naufrage ait eu lieu le vendredi 13 au soir, après que l’agence Standard and Poors eut délivré une mauvaise note à une série de pays européens, dont le paquebot France, acroissant ainsi la crise de l’Euro et menaçant du même coup la concorde européenne. ConcordiAA… portait bien son nom… à côté du drapeau européen.

Le drapeau européen du Costa Concordia

Depuis la crise de 2008 qui a vu la Banque Lehman’s Brother couler sous les yeux du gouvernement américain, les naufrages économiques ont été nombreux, l’idée même que le navire de l’Etat puisse se déclarer en faillite, sombrer sous les assauts des tempêtes boursières, submergés par la dette, n’est plus seulement un cauchemar, c’est devenu un horizon pour de nombreux pays… Et la perte du AAA par la France, au matin de ce jour de naufrage en Méditerranée, aura sûrement donné matière aux représentations de l’épave du Costa Concordia, à cette fixation étrange sur cette immense maison flottante, qui agit comme Méditerranée sorte de Memento Mori et d’écran propitiatoire à destination des regards de la zone Euro… Jouissons de la terre ferme !

On apprivoise l’idée de naufrage par cette image qui nous place la plupart du temps à l’abri sur la rive où les maisons tiennent debout, en nous se montrant de belles images d’une mer d’huile où repose tranquillement le navire du marché-roi perdu par son pilote fou… naufragés que nous venons veiller depuis la terre ferme…

C’est Libération.fr qui a vendu la mèche, deux jours après The Guardian, en titrant lucidement : Godard a filmé la fin de l’Europe sur le Costa Concordia.

Cette épave que nous contemplons étrangement et qui distille son poison est peut-être bien celle de l’Europe des marchés et nous désirons tous rester sur le bord, sur la terre ferme, en attendant de pouvoir monter à bord d’un nouveau navire… Et si possible pas sur une pirogue…


Des livres qui ont inspiré cette approche :
-Murielle Gagnebin, Pour une esthétique psychanalytique, Paris, Puf, 1994

-Georges Didi-Huberman, Devant l’image, Paris, Minuit, 2004

-Hans Blumenberg, Naufrage avec spectateur, Paris, L’Arche, 1994

1 Le “ça nous a interpellés” sans plus d’explications, opposé à toute tentative d’interprétation des usages de l’image de presse, ouvre la porte sur cet “air du temps” inconscient qui correspond à la situation, au contexte imaginaire, partagé par les journalistes et les lecteurs de leur organe de presse.
2 Hans Blumenberg, Naufrage avec spectateur, trad. Laurent Cassagnau, Paris, L’Arche, 1994, p. 34.


Billet initialement publié sur Culturevisuelle.org par Olivier Beuvelet.
Captures d’écran via Culture visuelle et photos publiées dans les journaux Sudouest.fr, Courrierpicard.fr (AFP)
Photo du Costa Concordia par Turismobahia/Flickr (CC-byncsa)

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[ITW] Bent Objects, le retour http://owni.fr/2011/12/23/bent-objects-terry-border-retour/ http://owni.fr/2011/12/23/bent-objects-terry-border-retour/#comments Fri, 23 Dec 2011 15:29:50 +0000 Terry Border http://owni.fr/?p=89035 Vous vous souvenez de la première version des Bent Objects par Terry Border ? L’artiste est de retour avec une nouvelle série d’objets de la vie quotidienne détournés, à l’aide d’un simple petit fil de fer et de beaucoup d’imagination. Tout a commencé sur un petit blog. Les Bent Objects sont aujourd’hui un phénomène international, repris à la télévision, dans la presse ou sur les sites Internet de nombreuses publications. Entretien avec le créateur du phénomène.

J’ai démarré en 2006, l’âge d’or pour les blogs. Les gens étaient encore enthousiastes à l’idée de publier plus de 140 caractères. Je me suis dit que j’allais publier quelques objets avec des fils de fer histoire de pouvoir me payer des cafés. A l’époque, j’étais boulanger. J’avais fait de la photo publicitaire, mais j’avais démissionné quelques années auparavant. Je n’aimais pas l’ensemble du processus.

Un jour que je marchais dans un parc, une main géante venue des nuages m’a pointé du doigt. J’ai tiré dessus jusqu’à ce qu’un son profond furieux gronde à travers l’atmosphère. Ce fut un jour intéressant, mais ça n’a pas de rapport avec Bent Objects. En gros, le fil de fer est pas cher. Et les objets ordinaires non plus. Combiner ces deux choses pour m’amuser évite de me stresser, contrairement à d’autres tentatives qui me coûtent pas mal d’argent.

“J’ai toujours vu les objets comme ça”

Mon processus créatif est le suivant:

(a) Regarder un objet.

(b) Cet objet me rappelle quoi ? Quelle personnalité a-t-il ?

(c) Ajouter un peu de fil de fer pour l’amener à la vie.

(d) Le photographier de façon à ce qu’il communique mon idée.

Je n’essaye pas toujours d’être drôle. Mais parce que mon matériel est ce qu’il est, le produit fini est toujours vu comme comique, et il n’y a pas moyen de contourner ça. Je ne suis pas quelqu’un de sérieux, et ça se voit dans mon travail, même si je n’essaye pas d’être “drôle”. C’est sûrement une bonne chose, parce que l’humour, que je m’efforce d’en faire ou pas, a conduit les gens à partager mon travail, et je ne vais pas imposer aux gens une manière de l’interpréter.

En fait, j’ai toujours vu les objets comme ça. Mais depuis que je bosse sur Bent Objects, je peux montrer aux autres comment je pense aux choses. C’est probablement très étrange, mais je suis reconnaissant d’avoir trouvé des gens qui apprécient cette façon de voir.

Parle d’amour

Dans une certaine mesure, cela a formalisé mes tendances parfois étranges. Avant, certains aspects de ma personnalité étaient vus comme décalés, ou pas assez sérieux. Mais dès que vous pouvez faire de l’argent avec votre point de vue, vous êtes vu comme “brillant” et “excentrique”. Non plus comme un outsider. Vous êtes validé parce que vous avez fait de l’argent avec vos idées.

Le nouveau livre est assez similaire au premier, mais un peu plus cohérent. Il parle d’amour, et des relations entre être humains. L’ajout de texte est une idée de mon éditeur : si j’avais pu décidé, j’aurai laissé les gens deviner !

J’ai vécu dans l’état d’Indiana avec ma femme et mes filles. Et deux chats. J’aime bien regarder les émissions de télé sur la cuisine, visiter les musées et recevoir des chèques.

Sans Internet, jamais je n’aurais continué ce travail. C’est vrai, mes photos sont devenues virales parce que des gens les ont partagées sur des blogs ou par mail. Mais avant, les commentaires sur mon blog ont été aussi importants dans la création même des Bent Objects. Ma ville, Indianapolis, a récemment découvert mon travail. La plupart des visiteurs de mon blog proviennent de Londres, New York, ou d’autres endroits éloignés.

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All images © Terry Border. Bent Object of My Affection est édité par Running Press.
Plus d’articles Bent Objects sur Owni.eu.
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Copé et Takieddine en short http://owni.fr/2011/09/27/cope-et-takieddine-en-short/ http://owni.fr/2011/09/27/cope-et-takieddine-en-short/#comments Tue, 27 Sep 2011 14:39:25 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=81135 Le 10 juillet, Mediapart publiait le premier volet de l’enquête sur Ziad Takieddine, illustrant les liens entre l’intermédiaire et plusieurs personnalités politiques françaises. Brice Hortefeux, Jean-François Copé ou encore Thierry Gaubert apparaissent sur des photos chez Takieddine ou en sa compagnie. “Des relations strictement personnelles” avait rétorqué J-F. Copé, secrétaire général de l’UMP. Olivier Beveulet s’est arrêté sur l’une de ces photographies, montrant Jean-François Copé barbotant dans la piscine de la villa du Cap d’Antibes appartenant à Ziad Takieddine. Le “marchand d’arme” a été mis en examen le 14 septembre pour “complicité et recel d’abus de biens sociaux”.

Cette photographie est à la fois exceptionnelle et très banale à l’ère de la transparence sarkozyenne; un homme politique de premier plan, presque nu, dans une piscine en plein été, il pose pour un ou une amie et fixe l’objectif. Face à face lointain entre l’homme et l’appareil ; le cadrage assez large le situe dans un lieu et un milieu. La mention de la date inscrite en rouge sur la surface de l’image nous indique son ancrage dans l’histoire personnelle des protagonistes, la relie aussi à notre histoire (où étions-nous ce jour-là ?) et nous révèle qu’elle a été prise à l’aide d’un petit appareil pour touriste. Le moment et le lieu sont ainsi très inscrits dans cette capture de l’instant présent…

Carpe diem dans la piscine de Takieddine. C’est d’abord un souvenir. Souvenir de quoi ? Pour qui ? Nous verrons… La photographie ne dit rien d’autre que “Jean-François est dans la piscine et me regarde”. Rien de plus courant – si ce n’est que la maison a l’air très luxueuse – rien de que la banalité de la vie heureuse et confortable de ceux qu’on appelle les nantis.

Jean-François Copé dans la piscine de Ziad Takieddine au cap d'Antibes le 13 août 2003, photographie faisant partie des "documents Takieddine" publiés par Mediapart

Et pourtant cette image est une des photographies politiques les plus troublantes et peut-être les plus importantes de ces dernières années. Sa portée symbolique est en train de se définir au fil des articles publiés sur les liens entre Ziad Takieddine et ce qu’on appelle maintenant le clan Sarkozy ; Gaubert, Hortefeux, Desseigne et étrangement Copé… Quant à son rôle politique, en tant qu’élément de ce que le site Mediapart dévoile depuis cet été sous le titre de “Documents Takieddine” (accès payant), il est de plus en plus important, lui aussi, car cette image est un document qui fait partie d’un dossier visant à manifester et à documenter les relations pour le moins “inappropriées” qui existent entre des hauts dirigeants de l’UMP (des proches de Nicolas Sarkozy) et cet homme d’affaire libanais qui a probablement joué un rôle central dans l’affaire des rétrocommissions et financement occulte du contrat Agosta qui a débouché sur l’affaire dite “de Karachi” …

Allégorie

Par ailleurs, son importance symbolique réside aussi dans le fait qu’ elle est l’enjeu d’un certain nombre d’appropriations sur le Web, au point qu’elle risque de rester assez longtemps en travers de la voie royale que son modèle s’était lui-même tracée jusqu’à l’Elysée. Un document et une allégorie, cette image est pour tous ceux qui la détiennent, un véritable trophée, et pour ceux qui la regardent une source d’étonnement et d’interrogations sans fond… Parce qu’au-delà de la présence de Copé dans la piscine de Takieddine, c’est un certain rapport du monde politique à l’argent, propre à notre République parfois étrange, qui est ici involontairement figuré.

D’origine “vernaculaire”, cette photographie témoigne de la façon dont vivent et s’auto-représentent les membres de tel groupe social. Elle constitue ainsi un document ethnographique très intéressant et il convient de l’analyser dans la perspective des relations qu’elle met en jeu.

En premier lieu, ce qui rend cette image si particulière pour qui s’intéresse aux représentations de la vie politique, c’est qu’elle est extrêmement labile sous le regard, qu’elle ne cesse d’évoluer dans sa signification, de prendre du poids politique et du sens allégorique ; au fur et à mesure que le voile se lève sur les arrière-cours de la Sarkozye et les doubles-fonds de la campagne électorale de Balladur en 1995, au fur et à mesure que le rôle du propriétaire de la piscine dans le financement occulte de la vie politique récente est éclairci, cette photographie transforme l’image de son sujet. Copé y passe du statut  de touriste de la Côte d’azur à celui de touriste de la vie politique, et l’eau dans laquelle il trempe de façon anodine se colore sensiblement, se trouble, du poids des affaires menées par son hôte. Ainsi, la part invisible de ce document, l’aura du propriétaire de la piscine, se dessine de plus en plus précisément hors champ et modifie le degré de compromission du nageur candide. Le liquide change de nature…

En effet, l’eau dans laquelle il trempe le touche entièrement, l’enveloppe et trouble ses formes. Il semble même coupé en deux tant la couleur de son costume de bain est proche de celle de la piscine… Elle incarne l’idée d’une symbiose entre l’homme et le liquide… C’est une eau qui le mouille de plus en plus, pourrait-on dire. L’intimité que son corps presque nu y entretient avec l’argent de Takieddine qu’elle représente par métonymie, est de plus en plus suspecte. C’est en effet la presque nudité de l’homme politique devant l’homme d’affaires, l’intimité qu’elle suggère, le fait d’être seul face à l’objectif derrière lequel on suppose aisément le marchand d’armes, qui pose le plus un problème éthique.

Sur les autres photos de la série, Copé est avec son épouse et accompagné d’autres personnes, le cadre ne l’isole pas personnellement et il apparaît dans un flux relationnel à multiples pôles ; des couples d’amis ensemble, en vacances, il y est de passage. Mais ici, seul dans la piscine, il apparaît comme coincé, pris dans le cadre, entre les bords de la piscine qui redoublent ceux de la photographie ; il est au centre des deux, c’est lui seul qu’a voulu saisir celui qui cadre… précisément pour le montrer. Il ne nage pas, il ne joue pas avec ses enfants ni avec sa femme, il paraît simplement au milieu de la piscine et pose pour le photographe. Regarde-moi, je suis dans la piscine.

Ce face à face avec le photographe renforce l’impression d’intimité due à la presque nudité de son corps. Celui qu’on photographie seul, pour soi, torse nu, c’est celui qu’on aime, qu’on désire, qu’on veut garder, celui qu’on est fier ou heureux d’avoir pour soi seul. On peut d’ailleurs supposer que cette photographie ait été prise par son épouse qui était avec lui chez Takieddine ce jour-là, mais on ne le sait pas exactement, et les légendes nous précisent que cette piscine appartient à Takieddine, ce qui permet au spectateur de penser que c’est bien ce dernier qui a pris la photo, ou que c’est pour lui qu’elle a été prise.

Intimité

“Jean-François est dans la piscine et me regarde” devient “J’ai mis Jean-François Copé dans ma piscine, il me regarde comme un gardon tout juste sorti de l’eau et qui se délecte encore de mon appat”. Les grandes espionnes et les grandes corruptrices triomphaient d’avoir mis un puissant dans leur lit, les hommes d’affaires sont fiers de mettre des hommes politiques dans leur piscine. La photographie n’en dit pas plus, elle semble être une fin en soi… C’est précisément ce qui fait d’elle un document sur la relation entre Takieddine et Copé, et au-delà, sur les liens “inappropriés” entre l’argent (qui prend la photo) et la politique (qui se fait prendre en photo). Comme un  document officiel, elle a été dûment établie par les intéressés. Elle atteste l’intimité de la relation entre un homme politique et un homme d’affaires que la presse qualifie de sulfureux.

Mais ce que cette photographie conserve en elle et ne cesse de distiller à nos regards ébahis, ce n’est pas seulement la relation qu’elle établit factuellement entre deux hommes, le cadreur et le cadré, mais aussi celle qu’elle figure à l’aide de puissants symboles. Elle nous parle et nous parle encore, nous dévoile une vérité que notre République n’ose pas encore voir franchement, elle se répand en confidences et déborde de son cadre, comme l’eau claire de la piscine de Takieddine, qui fuit en un courant limpide vers son extrémité droite. Depuis qu’elle a été publiée cet été sur le site de Mediapart et reprise abondamment sur de nombreux sites de presse (le copyright en revient étonnament à Mediapart) elle parvient à formuler visuellement ce que l’opinion publique commence à apercevoir de ce qu’elle savait depuis longtemps…

Elle formule visuellement ce qu’on entend souvent verbalement dans les expressions “être mouillé jusqu’au cou” ou encore “tremper” dans des affaires louches, ou encore “être éclaboussé par un scandale”, ou bien, pour reprendre l’expression de Thierry Gaubert “si je coule, tu coules avec moi”. On peut ajouter l’image de la “noyade” dans une mare d’eau, de Robert Boulin,  ou encore le surnom de piscine qu’on donnait autrefois à la DGSE et qui, par extension, donnait une image sub-aquatique à ses opérations à l’étranger. Comme, justement, celle visant le Rainbow Warrior par exemple. Au fond, la piscine, c’est la figure faussement claire et limpide des affaires troubles de la République… Plus c’est transparent plus c’est opaque, rien de tel, d’ailleurs que la transparence pour cacher ce qu’on ne veut montrer.

Comme l’argent, la corruption est fluide dans notre imaginaire, elle prend l’aspect du serpent qui ondule ou de l’eau qu’on ne maîtrise pas, qu’on ne peut pas contenir, qu’on ne peut non plus définir avec précision, comme l’eau, elle mouille, éclabousse et parfois noie, mais jamais on ne la saisit ni ne l’arrête. La chambre de compensation luxembourgeoise tant décriée s’appelle Clearstream (le courant limpide) ce qui n’est pas forcément un bon indice pour elle. Et l’on en vient à la notion de “liquide” qui semble être la forme intraçable et insaisissable sous laquelle l’argent circule dans les coffres des ministères et les poches de certains hommes politiques…

Contacts inappropriés

Certains hommes politiques français baignent dans le liquide, nous dit cette image sur un mode allégorique. Le pauvre Copé, qui a bien le droit de se baigner dans une piscine en plein été, se retrouve ainsi comme un gardon pris dans le vivier d’un pêcheur de gros. Il illustre une situation qui se fait jour sans le savoir. Il offre aux spectateurs qui se sont invités, par voie de presse, dans l’intimité qu’il entretient avec celui qui le photographie, une magnifique illustration des contacts “inappropriés” (pour reprendre cet anglicisme clintonien remis à la mode par DSK) entre les hommes politiques flirtant avec les sommets de l’Etat et les eaux claires mais troubles de la finance internationale. A tort ou à raison, on le saura peut-être un jour.

Sur le Web, cette photographie a manifestement trouvé des regards qui ont su lui donner toute sa portée. Alors que le site d’@si regrettait cet été que le feuilleton de Mediapart ne trouve que peu d’échos dans la presse généraliste, on peut voir sur Google images en rentrant la requête “Copé piscine” que l’image, elle, a fait florès sur la toile. Souvent reprise telle quelle sur des blogs citoyens indignés par les révélations de Mediapart, elle a aussi fait l’objet d’appropriations narquoises.

Haut de la première page Google Images pour la requête "Copé piscine"

On peut ainsi voir des reprises humoristiques qui exploitent la thématique de l’eau corruptrice ou celle de la relation compromettante.

source : Blog "Che 4 Ever"

Source : nostraberus.over-blog.com

Source : Laplote, l'actualité française vue de Suisse

Article initialement publié sur Parergon, le blog d’Olivier Beuvelet sur Culture Visuelle, sous le titre : “Dans la piscine de Takieddine”

Crédits photo via FlickR CC : Hollywoodpimp by-nd ; Stuck in Customs [by-nc-sa]

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Concombres: les médias servent leur soupe http://owni.fr/2011/06/12/concombres-les-medias-servent-leur-soupe/ http://owni.fr/2011/06/12/concombres-les-medias-servent-leur-soupe/#comments Sun, 12 Jun 2011 14:09:58 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=67178 Du 26 mai au 10 juin 2011, l’affaire dite du “concombre tueur”, puis de la “bactérie tueuse” fait les gros titres de l’actualité. La contamination accidentelle de graines germées par une souche résistante d’E. coli dans la région de Hambourg provoque une trentaine de morts en l’espace de deux semaines par syndrome hémolytique et urémique (SHU) incurable.

Relais d’information aveugle

La gestion de cette crise témoigne d’un certain nombre de dysfonctionnements dans les mécanismes d’alerte sanitaire et leur amplification médiatique. En résumé, une infection accidentelle s’est produite à une échelle locale sans qu’on ait pu à aucun moment enrayer un processus qui a fini par s’interrompre de lui-même, la source du problème ayant disparu. Comme dans d’autres cas récents, les systèmes d’alerte censés prévenir l’extension de l’épidémie se sont avérés inadaptés et largement inopérants, contribuant à créer une panique médiatique aux effets catastrophiques, sans commune mesure avec la gestion sanitaire proprement dite de la crise. Entretenue par l’urgence, la circulation de fausses nouvelles et d’annonces contradictoires a atteint des sommets.

L’affaire de la “bactérie tueuse” est révélatrice de deux crises jumelles: celle de l’expertise dans le domaine biomédical et celle du journalisme scientifique. Dépourvues du minimum de culture scientifique qui leur permettrait de critiquer les informations véhiculées par les systèmes d’alerte, les rédactions s’avèrent incapables de traiter autrement qu’en relayant de manière aveugle les dépêches, abandonnant les principes de vérification du journalisme d’information au profit d’un journalisme de communication.

L’analyse du traitement iconographique de cette crise par LeMonde.fr permet de documenter cette dérive. En l’espace de 16 jours, le support consacre pas moins de 24 articles à la “bactérie tueuse” (sans compter les dossiers réservés aux abonnés, les billets de blogs ou les sujets connexes), chacun d’eux illustré d’au moins une photographie, dont on trouvera ci-dessous le relevé chronologique (voir aussi sous forme de diaporama).

Retrouvez les légendes au bas de l'article

Légumes mortels VS bactérie tueuse

L’élément le plus frappant de ce tableau, qui restitue le film de la perception du phénomène, est à quel point l’image semble suivre fidèlement les options du récit. Quatre thématiques peuvent être identifiées:

  • les légumes (le plus souvent représentés à l’étal)
  • le monde agricole
  • la recherche biomédicale
  • l’univers hospitalier.

Sur 24 images, deux seulement n’appartiennent pas à ces registres: une infographie du Monde.fr et un portrait utilisé pour une interview. Si l’on identifie par des couleurs ces thématiques, on constate qu’entre le début et la fin de la période, on est passé d’une vision de crise alimentaire à une vision de crise biomédicale – du “concombre tueur” à la “bactérie tueuse”(voir tableau ci-dessous).

L’autre caractère remarquable de cette iconographie est son instrumentalisation du reportage à des fins illustratives. A quelques exceptions près (comme la représentation de la bactérie, l’infographie ou le portrait de la directrice générale de l’Institut de veille sanitaire en illustration de son interview), aucune des photographies n’apporte une information visuelle utile et pourrait être supprimée sans que la compréhension de l’article en soit affectée. A moins de penser que nous ne savons pas reconnaître un concombre ou une tomate, ou bien que la vision d’une culture de cellules dans une boîte de Pétri nous renseigne sur l’évolution de la crise, ces images ont à l’évidence un caractère plus décoratif qu’informatif.

Le caractère volontiers générique de la plupart d’entre elles pourrait même laisser croire qu’il s’agit pour l’essentiel d’une iconographie d’illustration issue de banques d’images. En réalité, il n’en est rien: à l’exception de l’imagerie médicale de la bactérie, empruntée à Fotolia, toutes les photos utilisées sont bel et bien des images de reportage, la plupart réalisées dans le contexte de la crise de la “bactérie tueuse” par les grandes agences filaires: AFP, AP, Reuters. Le concombre illustrant les demandes de l’Espagne a bien été photographié l’avant-veille sur un marché de Malaga; l’infirmière masquée qui a l’air sortie d’un épisode d’Urgences est bien employée par l’hôpital de Lübeck qui soigne les malades atteints du SRU.

Plutôt que les repères classiques du photoreportage tel qu’il est défendu à Perpignan, l’iconographie de cette séquence rappelle l’illustration des journaux télévisés: une imagerie de confort utilisée pour ses vertus de support de récit et pour sa capacité à caractériser l’événement par des informations d’ambiance. Pendant que les experts – et à plus forte raison les journalistes – s’avèrent incapables d’identifier l’origine de la contamination, les images donnent l’illusion d’une maîtrise de la qualification médiatique de l’événement. Pourtant, ce qu’elles illustrent n’est rien d’autre que les erreurs et les revirements d’une compréhension lacunaire.


Légendes photo:

  1. 26/05, 11:36. Titre: “Alerte aux légumes tueurs dans le nord de l’Allemagne“. Légende: “Les autorités sanitaires allemandes recommandent de cuire pendant dix minutes à 70°C les légumes crus” (AFP/Jean-Pierre Muller).
  2. 27/05, 08:18. Titre: “Bruxelles alerte sur des concombres contaminés venant d’Espagne” (avec AFP). Légende: “Selon les autorités sanitaires allemandes, 276 personnes ont été atteintes dans ce pays” (Reuters/Morris Mac Matzen).
  3. 28/05, 19:52. Titre: “Concombre tueur: trois cas suspects en France” (avec AFP et Reuters). Légende: “Selon les autorités sanitaires allemandes, 276 personnes ont été atteintes dans ce pays” (AP/Marius Roser).
  4. 30/05, 07:58. Titre: “Concombres contaminés: La Russie interdit les importations de légumes allemands et espagnols” (avec AFP). Légende: “La bactérie E. Coli entéro-hémorragique peut provoquer des hémorragies et des troubles rénaux sévères, appelés syndrome hémolytique et urémique, potentiellement mortels” (Fotolia/Yang MingQi).
  5. 31/05, 07h50. Titre: “Concombres contaminés: le bilan s’élève à 14 morts en Allemagne” (avec AFP). Légende: “L’inquiétude grandit chez les consommateurs, qui boudent les étals des primeurs” (AP/Ronald Zak).
  6. 31/05, 16:50. Titre: “Légumes contaminés: que doit-on craindre?” Légende: “Un étal de primeurs à Leipzig, en Allemagne, lundi 30 mai(AFP/Johannes Eisele).
  7. 01/06, 06:29. Titre: “Bactérie tueuse: l’Espagne demande réparation” (avec AFP). Légende: “Sur un marché de Malaga, dans le sud de l’Espagne, lundi 30 mai(AFP/Sergio Torres).
  8. 02/06, 06:46. Titre: “Légumes contaminés: l’épidémie s’étend, la méfiance aussi” (avec AFP). Légende: “La Commission européenne a levé mercredi soir la mise en garde contre les concombres espagnols soupçonnés d’être à l’origine de l’épidémie(Reuters/David W. Cerny).
  9. 02/06, 14:22. Titre: “La souche bactérienne a bien été identifiée, mais pas le canal de transmission“(avec AFP). Légende: “A la clinique universitaire d’Eppendorf, près de Hambourg, où continuent d’affluer des malades contaminés par la bactérie E. coli(AFP/Patrick Lux).
  10. 02/06, 14:22. Titre: “La souche bactérienne a bien été identifiée, mais pas le canal de transmission“(avec AFP). Légende: “A la clinique universitaire d’Eppendorf, près de Hambourg, où continuent d’affluer des malades contaminés par la bactérie E. coli(AFP/Patrick Lux).
  11. 02/06, 18:11. Titre: “L’origine de la bactérie tueuse reste une énigme pour les scientifiques” (avec AFP). Légende: “En Allemagne, les scientifiques étudient des prélèvements faits sur les personnes contaminées par la bactérie à l’origine de 22 décès en Europe” (AFP/Bodo Marks).
  12. 03/06, 10:34. Titre: “Les scientifiques traquent la bactérie tueuse“. Légende: “Une culture de la bactérie ECEH étudiée dans un laboratoire de Hambourg, en Allemagne” (Reuters/Fabian Bimmer).
  13. 03/06, 19:39. Titre: “Bactérie tueuse: les analyses ne permettant pas d’incriminer les légumes” (avec AFP). Légende: “La bactérie E. coli continue de se propager” (infographie Le Monde).
  14. 04/06, 10:42. Titre: “Bactérie tueuse: le mystère du vecteur de contamination reste entier” (avec AFP et Reuters). Légende: “Alors que l’origine et le mode de contamination de la bactérie E. coli restent mystérieux, les pays européens continuent de se renvoyer la balle” (Reuters/Francisco Bonilla).
  15. 05/06, 18:30. Titre: “Bactérie tueuse: la piste des germes de soja” (avec Reuters, AFP). Légende: “Le ministre de la santé allemand Daniel Bahr en visite dans un hôpital de Hambourg, dimanche 5 juin” (Reuters/Fabian Bimmer).
  16. 06/06, 11h05. Titre: “Bactérie tueuse: les tests sur les graines germées ne sont pas concluants” (avec AFP et Reuters). Légende: “Vue d’une des serres dans l’exploitation d’Uelzen qui pourrait être à l’origine de la contamination” (AP/Axel Helmken).
  17. 07/06, 06:50. Titre: “Bactérie tueuse: l’UE au chevet des maraîchers” (avec Reuters). Légende: “Les producteurs européens pourraient recevoir, en cas d’accord, jusqu’à la fin du mois une aide correspondant à 30% de la valeur totale de leurs produits invendus, prélevée sur le budget de l’Union européenne” (Gamma/Alain Denantes).
  18. 07/06, 18:27. Titre: “Les germes constituent un milieu très favorable au développement des bactéries” (entretien). Légende: “Les germes de soja sont soupçonnés d’être à l’origine de la contamination à la bactérie E. coli” (Reuters/Pawel Kopczynski).
  19. 07/06, 20:24. Titre: “Bactérie : le fédéralisme allemand à l’épreuve de la gestion de crise“. Légende: “Le ministre de la santé allemand, Daniel Bahr, visite l’hôpital universitaire de Hambourg, le 5 juin” (Reuters/Fabian Bimmer).
  20. 07/06, 11:25. Titre: “Bactérie tueuse: ‘Tout se passe comme si le suspect était fondu dans la masse‘” (entretien). Légende: “La directrice générale de l’Institut de veille sanitaire (InVS), Françoise Weber” (AFP/Patrick Kovarik).
  21. 08/06, 08:20. Titre: “Bactérie tueuse: le bilan atteint 25 morts” (avec AFP). Légende: “Une infirmière au chevet d’un patient atteint par la bactérie E. coli, à Lubeck, en Allemagne. 2400 personnes ont été contaminées, dans 12 pays” (AFP/Markus Scholz).
  22. 09/06, 09:41. Titre: “Une variante de la bactérie ECEH détectée sur des betteraves néerlandaises” (avec AFP). Légende: “L’origine de l’épidémie n’a pas encore été trouvée” (Reuters/Alexandre Natruskin).
  23. 09/06, 15:38. Titre: “Bactérie tueuse: le bilan passe à 31 morts en Europe” (Avec AFP, Reuters). Légende: “Au total, plus de 2 900 personnes dans au moins quatorze pays sont soupçonnées d’avoir contracté cette forme rare et très virulente de bactérie” (Reuters/Fabian Bimmer).
  24. 10/06, 10:39. Titre: “Bactérie E.coli : des graines germées sont responsables de l’épidémie mortelle” (avec AFP et Reuters). Légende: “Une culture de la bactérie ECEH étudiée dans un laboratoire de Hambourg, en Allemagne” (Reuters/Fabian Bimmer).

Article initialement publié sur Culture Visuelle, sous le titre “La “bactérie tueuse”, laboratoire du journalisme de communication”.

Illustration CC FlickR mitch 98000, © André Gunthert (captures du site lemonde.fr, tableau)

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La victoire culturelle de l’antitabagisme http://owni.fr/2011/04/28/la-victoire-culturelle-de-l-antitabagisme-tabac-fumer-cigarettes/ http://owni.fr/2011/04/28/la-victoire-culturelle-de-l-antitabagisme-tabac-fumer-cigarettes/#comments Thu, 28 Apr 2011 08:30:48 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=59549 Décrite comme une décision gouvernementale, l’apposition de messages visuels sur les paquets de cigarettes, obligatoire en France depuis le 20 avril, est présentée par la presse comme une mesure plus spectaculaire que vraiment efficace. Il s’agit pourtant de la plus vaste expérience de psychologie sociale jamais réalisée à propos des effets de l’image, et la manifestation exemplaire de l’une des plus importantes évolutions d’une pratique culturelle dans les pays développés.

Dernier épisode dans la lutte d’un demi-siècle qui oppose l’une des plus puissantes industries au lobbying d’une minorité agissante, le retournement des images est la signature de la victoire du bien sur le mal, de la santé sur la maladie et de la morale sur le vice. Elle ne doit que peu de choses à l’échelle de la décision gouvernementale, et témoigne au contraire de l’extension toujours plus grande de la nouvelle gouvernance des experts, qui impose ses décisions à l’échelle mondiale par un système opaque de recommandations étayées par l’expertise scientifique.

L’invisibilité de cette procédure et l’incapacité du système médiatique à mettre en récit des dynamiques d’une telle ampleur sont parfaitement illustrées par le traitement anecdotique sur le mode du fait-divers qui a accueilli la mise en conformité française.

La convention-cadre pour la lutte antitabac (Framework Convention on Tobacco Control) est un traité international proposé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), adopté le 21 mai 2003, et signé par presque tous les Etats du monde.

(1) Paquets de cigarettes illustrés d'avertissements visuels (Suisse).

Il prévoit le déploiement d’un vaste ensemble de mesures, dont la hausse des prix du tabac, l’interdiction de la publicité, l’interdiction de fumer dans les lieux publics, le développement de programmes d’aide à la cessation de fumer, la protection des non-fumeurs, la restriction de la vente aux mineurs et l’imposition à l’industrie de la publications d’avertissements illustrés sur les paquets de cigarettes.

Cette mesure visuelle s’insère donc dans un dispositif beaucoup plus large et ne peut être observée séparément de son contexte. Contrairement aux apparences, son introduction tardive dans le cadre de la lutte antitabac constitue une anomalie remarquable.

Santé publique et dramatisation visuelle

Les campagnes de santé publique sont la forme la plus ancienne d’utilisation par les Etats des moyens de la propagande moderne, qui associe les outils administratifs et législatifs à une large mobilisation culturelle, par l’intermédiaire de campagnes médiatiques et éducatives concertées.

La présence d’”images-choc” dans ces campagnes n’a rien d’une nouveauté. En France, dès la fin du XIXe siècle, la lutte contre l’alcoolisme, la syphilis ou la tuberculose forme le laboratoire d’un activisme dont les principaux ressorts sont la dramatisation et l’appel aux valeurs morales.
Une «propagande obsédante» élabore un discours destiné à terrifier l’opinion publique, où chaque fléau est décrit comme une menace de mort pour l’humanité toute entière (Corbin, 1977).

(2) "Alcoolisme", planche du Larousse médical illustré, E. Galtier-Boissière, 1902. (3) Tableau d'anti-alcoolisme du Dr Galtier-Boissière, tableaux muraux Armand Colin, 1900.

Cette pédagogie de l’horreur s’appuie largement sur l’image. Le Tableau d’anti-alcoolisme du Dr Emile Galtier-Boissière a été rendu célèbre par Marcel Pagnol (voir ci-dessus). Dans La Gloire de mon père, il témoigne de l’effet de ces tableaux effrayants qui tapissaient les murs des classes.

On y voyait des foies rougeâtres, et si parfaitement méconnaissables (à cause de leurs boursouflures vertes et de leurs étranglements violets qui leur donnaient la forme d’un topinambour), que l’artiste avait dû peindre à côté d’eux le foie appétissant du bon citoyen, dont la masse harmonieuse et le rouge nourrissant permettaient de mesurer la gravité de la catastrophe voisine.
Les normaliens, poursuivis, jusque dans les dortoirs, par cet horrible viscère (sans parler d’un pancréas en forme de vis d’Archimède, et d’une aorte égayée de hernies), étaient peu à peu frappés de terreur.

(4) "La syphilis c'est vraiment la grande meurtrière des enfants", L. Viborel, La technique moderne de la propagande d’hygiène sociale, 1930.

Dès les années 1920, le cinéma est mis au service de la santé publique. Lucien Viborel, activiste de l’éducation sanitaire, loue le «pouvoir de suggestion» de l’image (De Luca Barrusse, 2009).
Selon Valérie Vignaux, la cinémathèque du ministère de l’Hygiène sociale dispose en 1930 d’un catalogue de 500 films éducatifs, destinés à être projetés et commentés dans les écoles, les entreprises ou les salles communales (Vignaux, 2009).

La science contre l’image

Le mouvement antitabac se structure aux Etats-Unis à partir des années 1950. C’est le caractère tardif de la mise en évidence des dangers de la cigarette qui explique ses principales caractéristiques, à commencer par le refus d’une posture abolitionniste, dont la prohibition des boissons alcoolisées (1919-1933) a montré les limites.

En outre, la lutte antitabac ne recourt qu’exceptionnellement à l’arme visuelle. Après une période fortement marquée par la propagande étatique, l’information scientifique se veut plus sérieuse, préfère avancer des preuves plutôt que de jouer du registre de la stigmatisation dramatisée.

Quand elle prend une forme visuelle, l’illustration des méfaits du tabac s’appuie encore sur l’image du laboratoire. En 1953, Life contribue a populariser l’expérience d’Ernst Wynder qui, en provoquant une proportion inquiétante de tumeurs malignes chez des souris badigeonnées de résidus nicotiniques, installe l’idée de la haute toxicité de la cigarette.

(5) "Smoke gets in the news", Life, 21 décembre 1953, p. 20-21.

Plus encore, dans le cas du tabac, tout se passe comme si le terrain de l’image était déjà occupé. Par la publicité, qui valorise la cigarette, produit si simple et si uniforme, par la sollicitation constante de l’imaginaire et l’association de sa consommation avec diverses qualités individuelles, styles de vies ou comportements sociaux (voir ci-dessous).

Publicités Lucky Strike: (6) années 1930; (7) années 1940; (8) années 1950.

Cette versatilité fantasmatique trouve tout particulièrement sa place au cinéma, avec le soutien actif des industries du tabac. Attribut de la virilité comme de la sensualité, de la rébellion comme du glamour, la cigarette est devenue à l’écran la compagne de toutes les emphases, de tous les abandons (voir ci-dessous).

Aucune pratique sociale n’a connu une telle exposition, au point que l’omniprésence de cet accessoire entraîne souvent des désagréments lorsqu’il faut mobiliser un document visuel de la première moitié du 20esiècle.

(9) Robert Coburn, portrait de Rita Hayworth, Gilda, 1946. (10) Publicité Chesterfield, Ronald Reagan, 1952. (11) James Dean, photo de tournage, Giant, 1955.

Plutôt qu’entreprendre une vaine guerre des images, le mouvement antitabac a préféré soutenir la recherche, puis s’appuyer sur ses résultats pour développer l’arme juridique. Si des publicités institutionnelles ont accompagné les messages de santé publique, la dimension visuelle n’a joué qu’un rôle annexe à côté des ressources du savoir et de la loi, qui ont été les principaux outils du renversement des pratiques.

Des images pour salir l’image

Dans les directives expliquant l’application de l’article 11 (conditionnement et étiquetage des produits du tabac) de la convention-cadre de l’OMS, on retrouve l’invocation des motifs canoniques de l’usage des images, comme «l’impact émotionnel» ou le ciblage de «personnes peu instruites, d’enfants et de jeunes». La principale innovation de cette mesure n’est pas commentée. Faire apposer l’image directement sur le produit, aux frais du producteur, est pourtant une proposition d’une portée décisive, qui transforme l’espace du combat en confiant à l’adversaire l’arme destinée à le tuer.

Plutôt que le maintien d’un théâtre de l’affrontement, cet envahissement sémiotique est déjà la marque de la victoire, qui justifie le recours tardif à l’image. Autant il ne servait à rien d’occuper ce terrain lorsque la consommation tabagique était la norme, autant son investissement témoigne de l’inversion acquise de la perception des comportements. Les antitabac ont gagné. Fumer était in et glamour. C’est désormais le triste symptôme d’une addiction non maîtrisée, un geste compulsif voué à disparaître, ou l’indice d’un manque de confiance en soi.

Les images dites “choc” n’ont pas pour fonction de stigmatiser une pratique. Ce qu’elles manifestent de la manière la plus évidente est la perte de la bataille de l’image par les cigarettiers. Nul besoin d’en faire trop. Contrairement à une lecture superficielle, cette iconographie ne comporte qu’un petit nombre d’images brutalement déplaisantes (voir ci-dessous).

Elle comprend en revanche, en proportion plus importante, des photographies informatives ainsi que plusieurs illustrations allégoriques (dont certaines empruntées à une banque d’images des plus classiques): un couple qui se tourne le dos pour évoquer l’impuissance, une poussette vide pour rappeler la réduction de la fertilité, une seringue pour suggérer la dépendance, deux mains qui se rejoignent pour signifier l’aide à la cessation de fumer (voir ci-dessous)…

L’encadrement noir uniformise cette imagerie disparate dans une même ambiance funèbre. En réalité, plus que par les photos, la connotation trash est produite par l’emprunt des codes graphiques de la presse à scandale: titraille blanche et rouge sur fond noir, encadrés contrastés – une impression de violence essentiellement symbolique.

A la question de l’efficacité de cette option, plusieurs enquêtes effectuées dans des pays ayant appliqué la réglementation répondent de façon mesurée. Réalisé en 2008, le rapport australien, très complet, présente notamment l’intérêt de comparer l’introduction des messages visuels avec celle des avertissements textuels, en 2000. L’étude confirme essentiellement les idées les plus banales sur l’effectivité des images, à savoir que les images-choc sont celles qui sont les plus mémorisables, ou que l’effet le plus important concerne la population qui a l’intention d’arrêter de fumer. Au total, les visuels semblent avoir un impact non négligeable, mais loin d’être décisif isolément.

A la différence des cigarettiers, qui avaient tout misé sur la dimension fantasmatique, l’élément iconographique n’est qu’un facteur parmi d’autres dans la stratégie du mouvement antitabac. Il n’en a pas moins une mission de première importance: symboliser la défaite culturelle d’une pratique autrefois valorisée par l’image. Si les fumeurs peuvent dissimuler par divers expédients cette marque d’infamie, ils ne peuvent empêcher l’effondrement imaginaire dont elle est la preuve.


Publié intialement sur Culture Visuelle, L’atelier des icônes, sous le titre “Le renversement des images, victoire culturelle de l’antitabagisme”
Crédits photo et illustrations : Via Flickr André Gunthert © tous droits réservés ; Rita Hayworth [cc-by-nc-nd] dans la gallerie de RM9


Bibliographie
Jeff Collin, Kelley Lee, Karen Bissell, “The Framework Convention on Tobacco Control. The Politics of Global Health Governance”, Third World Quarterly, 2002/23, n° 2, p. 265-282.
Alain Corbin, “Le péril vénérien au début du siècle. Prophylaxie sanitaire et prophylaxie morale”, Recherches, n° 29, décembre 1977, p. 245-283.
Virginie De Luca Barrusse, “Pro-Natalism and Hygienism in France, 1900 – 1940. The Example of the Fight against Venereal Disease”, Population, 2009, n° 3/vol. 64.
Lion Murard et Patrick Zylberman, L’Hygiène dans la République. La santé publique ou l’utopie contrariée, 1870-1918, Paris, Fayard, 1996.
Robert L. Rabin, Stephen D. Sugarman (dir.), Regulating Tobacco, Oxford, Oxford University Press, 2001.
L. L. Shields, Julia Carol, Edith D. Balbach, Sarah McGee, “Hollywood on Tobacco. How the Entertainment Industry Understands Tobacco Portrayal”, Tobacco Control, 1999/8, n° 4, p. 378-386.
Will Straw, “True Crime magazines. Stratégies formelles de la photographie d’actualité criminelle”, Etudes photographiques, n° 26, novembre 2010, p. 86-106.
Valérie Vignaux, “L’éducation sanitaire par le cinéma dans l’entre-deux-guerres en France”, Sociétés & Représentations, 2009/2 (n° 28), p. 69-85.

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La fabrique des images sur 4chan http://owni.fr/2010/11/22/la-fabrique-des-images-sur-4chan/ http://owni.fr/2010/11/22/la-fabrique-des-images-sur-4chan/#comments Mon, 22 Nov 2010 15:52:21 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=36620 L’Internet vient de vivre une guerre picrocholine entre le board /b/ de 4chan et la plateforme de micro-blogging tumblr. Plusieurs channers ont en effet reproché à des utilisateurs de tumblr de mettre en ligne sur leurs blogs des images provenant de 4chan sans mention de leur origine. Ils ont alors organisé une attaque par déni de service contre tumblr. Les observateurs du phénomène étaient un peu consternés de découvrir à cette occasion un réflexe d’appropriation de contenus visuels produits collectivement et anonymement.

Les /b/tards de 4chan ont en effet la réputation de créer et de faire circuler de nombreux mèmes visuels. À tel point que le site dans son ensemble est parfois qualifié d’usine à mèmes. Le créateur de 4chan, Moot (Christopher Poole), a lui-même décrit la plateforme en ces termes lors d’une intervention partiellement retranscrite

Si la question de l’accès à la notoriété des créations graphiques de 4chan retient nombre d’observateurs, les processus de création des nouvelles images sont par contre très rarement abordés et jamais réellement expliqués, sauf à utiliser l’expression vague de « création collective ». À lire certains articles, 4chan serait une sorte de chaudron magique produisant sporadiquement des mèmes visuels issus d’une sorte de cerveau collectif dont le fonctionnement est obscur et ne présente guère d’intérêt.

Nous avons montré dans un article précédent que les images qui transitent par 4chan proviennent pour l’essentiel du Web ouvert habituel. Nous écrivions en conclusion de nos observations que le caractère sulfureux de ce site provient en grande partie de l’accumulation d’images en un endroit unique et de leur détournement, malaxage et transformation sur cet espace. Mais pourquoi et comment sont constamment réalisées ces transformations, ces fabrications de nouvelles images sur 4chan ?

The Internet and /b/ (sélection)

Nous décrirons ici les principaux procédés qui conduisent à l’apparition de nouvelles images ou de nouveaux usages iconiques sur 4chan et tenterons d’expliquer les conditions de leur succès sur le site lui-même. Cette activité soutenue mais brouillonne, faite de tâtonnements et d’essais plus ou moins heureux, est en effet préalable dans bien des cas à la constitution (éventuelle) de nouveaux mèmes visuels sur Internet.

Rappelons tout d’abord que les contenus postés sur 4chan sont extrêmement volatiles. Plusieurs centaines de posts arrivent chaque jour sur le board /b/ et un thread (un fil de discussion, nous conserverons le terme anglais dans la suite de ce billet) ne reste visible que très peu de temps, de quelques heures à quelques jours. Il n’est pas possible dans ces conditions de mentionner ici directement des références à des threads ou à des images. Nos observations ont donc été réalisées en grande partie (mais pas seulement) sur le site d’archives partielles 4chanarchive qui effectue une sauvegarde des threads les plus intéressants (les epic threads) sélectionnés par des participants et par un collectif de “curateurs” (plus de précisions ici).

Tous les liens que nous mentionnons par la suite renvoient ainsi à des threads archivés sur 4chanarchive. Ils sont cités ici avec leur titre tel qu’il figure sur ce dernier site, mais ce nom bien sûr ne figurait pas à l’origine sur 4chan.

Il est important de comprendre la structure d’un thread qui commence toujours par une image accompagnée d’une invitation à discuter. Celle-ci est souvent formulée de manière stéréotypée : Discuss, X thread, Tell me X, Rate my X, How is X, It’s X time, X tiem (altération de X time), Your face when X, Sauce, Dump, Hey /b/, /b/rother, What does /b/ X, Any X fags here, etc., où est X est le sujet du thread.

Pour comprendre les modes de fabrication de ces images, on ne doit pas négliger les discussions associées qui éclairent bien souvent les orientations et les choix iconographiques effectués par les participants. Il existe par ailleurs des threads pratiquement dénués d’images. Ce sont essentiellement des discussions, des joutes ou des concours, par exemple de poésie farfelue (Poetry), de chanson (Song Time), de résumés d’œuvres littéraires en quelques mots (Story Summaries), des séries d’histoires sur un thème (Retarded Customer Stories), ou même des propos émouvants dont on ne peut savoir s’il s’agit de fakes (brother Says His Goodbye), etc.

Image issue du thread "Birds!!!"

Même les threads peu imagés sont rythmés par des méta-illustrations qui les ponctuent de temps à autre. Il s’agit d’images figurant l’approbation (brilliant, I like this thread, X approves, etc.), la désapprobation, le rire, l’identification d’une provocation (troll), des avertissements (no spam), etc., ou même des images analogues aux signes phatiques du langage et qui n’ont d’autre but que de « relancer la machine ». Pour certains threads, ces méta-illustrations sont parfois plus originales que les images en contexte.

Un thread archivé comporte en moyenne de 50 à 150 images. Toutes ne sont pas, loin de là, en rapport avec le post l’ayant initié. De même que les réponses textuelles au post initial et les conversations qui s’ensuivent peuvent être en contexte ou totalement hors contexte, il existe de nombreuses “pic unrelated” dans les threads (en plus des spams déjà mentionnés). Tant en ce qui concerne le texte que l’iconographie déployée, le point d’arrivée d’un thread peut être tout à fait différent du sujet de départ. Les changements fréquents de sujet constituent l’une des caractéristiques de /b/ dont la dynamique principale, sur le plan visuel, est bien la recherche des images exploitables, celles qui possèdent un fort potentiel de détournement.

La focalisation sur ce type d’images entraine aussi parfois la manifestation explicite ou implicite d’une volonté de “faire du même à tout prix”, concrétisée par les forced memes.

Après ce bref rappel sur la constitution des threads, examinons quelques mécanismes utilisés pour fabriquer de nouvelles images. Nous en avons recensé une trentaine décrits ci-dessous suivis de quelques exemples:

Collections

Ces nombreux threads sur des sujets très divers constituent d’importants lieux de découvertes d’images « brutes » qui seront ultérieurement transformées dans d’autres threads.
Become Useful, Thor, Stencilfags, BIRDS!!!, Ladies Tied To Other Ladies,  Knock-Off Bootlegged Shit, Mods Are Asleep; Post Tea Cozies, George Bush’s handshakes, Robot Unicorn Attack Comics, Infothread (voir aussi Info Thread No. 9001),  Epic Art Thread , accident gifs (gifs animés d’accidents).

Images curieuses

Atypical Photography, Weird, But Fascinating Pics, Kick Shoop (jouets et gadgets curieux)

Image issu du thread "Weird but fascinating pics"

Wallpapers

Epic Wallpapers, Scenic Route Wallpaper

Collections lol sur un thème

Stormtroopers, Lolporn (gifs animés), Nostalgia Tiem (thème revenant plusieurs fois, cf. Moar Nostalgia), Cornography,  Overthrowing Our Metallic Overlords, Oldfags Inherit the Earth

Ajouts de légendes sur une image proposée

Courage Wolf’s Son (à partir du même Courage Wolf et avec une incitation à produire un nouveau mème), Advice Shepard, GTA: SA Nostalgia

Ajouts de légendes sur des images choisies selon un processus pseudo-aléatoire

Cancer Cure et Cancer Cure Part 2, images réalisées à l’aide du cadre Motivator (autre outil fréquemment utilisé: Memegenerator)

Sujet variable, manifestation du hasard

Epitome of Random,  random band names, most random thread of 2007

Ajouts de légendes et titres sur des dessins détournés

Asshole Jesus (devenu mème sous le nom Jesus is a Jerk), SoniComics (et son mème Sandwich Chef), Tapestry (avec de nombreuses reprises: tapestrybayeaux [sic] tapestry time; devenu une image-macro, voir ici)

Image issue du thread "Asshole Jesus"

Modèles à compléter, stéréotypes

4chan Drinking Card Game (Updated), Spidey/Venom OC,  Division By Zero

Montages selon une règle imposée

Combo Advice

Détourage et collage

Keanu et Sad Keanu,  Let’s Have Some Fun (la partie vide est un modèle), Face replace (remplacement de visages), Kick Shoop, Cool Guy Is Cool, Shearing Teeth, Kobr ’shopped

Ajout d’éléments sur des images

Iz Dat Sum OC? (ajout de lunettes, v. aussi les parties 2 et 3, devenu le mème Holdy), draw rockets on fish, Awesome Animals With Frickin’ Laser Beams Attached To Their Heads

Ajouts d’éléments et déformations

Can You Make Me Look Less Fat?, Shooping Girls

Associations d’images sur un thème

Pee Wee’s Secret Word: “Nigger”, Oceanfags Report In, Photobomb, 4chan Inc.

Créations de dessins et variations d’images

Epic Green Guy (voir aussi Gentlemen, décliné en plusieurs threads et devenu un même), Draw Desktop Icon In 30 Seconds, Draw Like You’re 5, Draw Trollface From MemoryBeer Drinking Owl, Anti-Recycling Signs, Stuck On The Top Of A Stone Pillar, How /b/ digs out of a hole (sur un thème imposé)

Demande de manipulation d’images

Faggots Becoming OP’s Personal Army, World Leaders Converse (demande détournée vers un autre mécanisme créatif jugé plus intéressant)

Micro roman photo en quelques images, montage vertical

Moar Verticals, Verts

Descriptifs excessifs

Too Much Win

Parodies de poèmes ou de chansons

Hitler Rhapsody,  Hitler Sings To /b/, The /b/tles

Illustrations de phrases célèbres

Favorite Movie Quotes

Légendes sur des dessins animés ou des mangas

Blowing This Bubble, DBZ Puns

Cinéma

/b/’s Favorite Movies, anybody seen that movie… (création de titres), Renamed Movies That Sound Horrible

Illustrations sur une phrase récurrente (catchphrase, motto)

Lol, You Can’t, Haters Gonna Hate Variations (catchphrase devenu mème), Classic Innuendoes (et seconde partie), Don’t Know Much, things /b/ hates, Ted2010, I love

Illustrations sur un modèle de phrase

I __ While I __

Rule 34, rule 35 (s’il n’existe pas de version pornographique d’une image, elle doit être créée)

best of rule 34, epic rule 34

Planches-contact (en général pornographique)

Ariel Rebel

Variations sur un mème visuel produit sur /b/

moot Kills EFG (note: EFG = Epic Fail Guy)

Histoire parodique développée le long du thread

Argentina Vs Britain, Poor Germany (histoire de la Seconde Guerre mondiale), Julius Caesar

Jeux sur les numéros de post

Foar Science

Autodérision envers 4chan, thread introspectif, 4chan et le reste d’Internet (v. illustration ci-dessus)

4chan Comparisons, DBZ Puns, 4chan movie casting

À propos de Moot

Moot message, moot fanmail, moot At Datacenter

Cette liste ne prétend évidemment pas être exhaustive. Les procédés recensés ne sont pas non plus uniformément utilisés dans un même thread et plusieurs créations graphiques peuvent être issues de l’application successive de divers mécanismes (et il n’est pas toujours facile d’en reconstituer l’historique).

Les procédés en question ressemblent en fait à des recettes ludiques simples dont l’objectif est de produire à grande vitesse des images exploitables et susceptibles de capter l’attention (cf. le concept de prosécogénie introduit par André Gunthert). Les jeux visuels produits ainsi collectivement ressemblent à ces créations verbales ou textuelles que les anglo-saxons nomment round robin. On pourrait aussi les comparer à des histoires racontées par une assemblée de scouts autour d’un feu de camp où les épisodes sont complétés successivement et très rapidement par chacun des participants.

La dimension temporelle est très importante. Comme nous l’avons déjà signalé, un thread ne dure pas longtemps. Il existe ainsi une logique interne du développement du thread où les intervenants se répondent, s’interpellent, s’injurient, à l’aide de mots et d’images, dans une course contre le temps. Il s’agit de faire reconnaître les nouvelles créations dans un fatras qui disparaît rapidement. Le pari est gagné quand une image apparue dans un thread est reprise dans un autre. En ce sens, les demandes d’archivages qui interviennent lors du développement des meilleurs threads peuvent être vues comme une consécration. L’archivage permet de pérenniser l’éphémère et fonctionne comme l’antichambre du mème visuel. La fabrique des images sur 4chan est essentiellement un processus d’accrétion dans un ensemble de flux volatiles où l’image agglomère de nouveaux usages; elle s’autonomise ainsi en subissant des transformations et des associations inédites.

Article initialement publié sur Culture Visuelle

Illustration de Une CC FlickR par RedHerring1up

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http://owni.fr/2010/11/22/la-fabrique-des-images-sur-4chan/feed/ 9
Minority Report IRL [en/15'] http://owni.fr/2010/06/02/minority-report-irl-en15/ http://owni.fr/2010/06/02/minority-report-irl-en15/#comments Wed, 02 Jun 2010 14:04:42 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=17364 Le conseiller scientifique de Minority Report, John Underkoffler, a présenté au dernier TED l’application qui a participé à la réussite du film: le machin plein d’écrans que Tom Cruise bouge avec son gant.

Que le premier geek qui ne s’est pas dit immédiatement: “il faut que je teste ça” me jette la première pierre. Ou qu’il l’a jette sur John, qui a créé G-Speak, l’interface qui supprime clavier et souris en prenant en compte la dimension spatiale.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Des développements applicatifs sont déjà en cours pour l’industrie aérospatiale, la bio-informatique ou le montage vidéo.

L’objectif de l’ancien du MIT et de son entreprise? “Que tous les ordinateurs du monde fonctionnent comme ça”

On en voit pas encore très bien l’utilité (un bon vieux filtre Google images ou Flickr permet de trier plus facilement les photos par couleurs…), mais la démonstration est impressionnante, à défaut d’être tout à fait convaincante.

Pour nous amis non-anglophones, la vidéo risque d’être sous-titrée assez rapidement, comme d’habitude chez TED.

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