OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le nouvel observateur de tes mails http://owni.fr/2012/08/28/le-nouvel-observateur-de-tes-mails/ http://owni.fr/2012/08/28/le-nouvel-observateur-de-tes-mails/#comments Tue, 28 Aug 2012 15:09:21 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=118932 Le Nouvel Observateur, Laurent Joffrin déplore que l'État ne puisse pas vérifier la véracité de ce qu'écrivent les gens par e-mail. Petit florilège des réactions suscitées, sur Twitter et du côté des journalistes Internet, par cette étonnante proposition.]]>

En juillet 2011, Laurent Joffrin s’était illustré en sommant un utilisateur de Twitter de… ne pas le tutoyer. L’outrecuidant avait en effet osé le titiller en lui rappelant sa participation à l’émission de télévision “Vive la crise” qui, en 1984, prônait les vertus de la crise économique.

Le rabroué, par ailleurs contributeur de l’observatoire des médias Acrimed -qui a fait de Joffrin l’une de ses têtes de turc-, était revenu sur cet épisode dans un long article, Laurent Joffrin, de son côté, y consacrant l’un de ses éditos, Qui vous autorise @ me tutoyer ?

Un mois plus tard, @Laurent_Joffrin cessait de s’exprimer sur Twitter.

En cette rentrée politique 2012, Laurent Joffrin s’illustre de nouveau, avec un édito fustigeant, cette fois, les “dérives du web” :

Un texte circulant tout l’été de boîte e-mail en boîte e-mail a répandu de fausses informations sur la “Commission de rénovation et de déontologie” présidée par Lionel Jospin. L’illustration d’une dérive.

La “rumeur“, vilipendée par Laurent Joffrin ce 27 août 2012, avait déjà été dénoncée… le 25 juillet dernier, par Béatrice Houchard, rédactrice en chef adjointe du Figaro (reprise par Rue89), puis par Vincent Daniel de FranceTVInfo, ainsi que par Lionel Jospin sur Europe 1 (repris par Arrêts sur Images), et bien évidemment par l’AFP (repris par Le Monde). Le NouvelObs.com, par contre, n’avait jusque-là publié aucun article au sujet de cette rumeur.

Un mois après ses confrères, Laurent Joffrin remet donc le couvert, au prétexte que la rumeur continue à circuler par e-mail. Et de fustiger les “adversaires de toute régulation d’Internet“… comme s’il était possible, ou envisageable, de “réguler” la correspondance privée (comment ? en lisant tous les courriers ?), ou comme si l’État pouvait empêcher les rumeurs de se propager (en ne donnant le droit qu’à certains de parler, et l’ordre aux autres de se taire ?).

Le Net “ne produit rien”

Laurent Joffrin qui, rappelle Guillaume Champeau sur Numerama, avait déjà voulu taxer les FAI, mais également Google, avant d’apporter son soutien à la Hadopi, a toujours eu des problèmes avec le Net. Il s’était déjà prononcé, en l’an 2000, en faveur d’une régulation du Net, qualifiant même d’”idiots utiles du capitalisme sauvage” les opposants à une régulation étatique.

Déplorant le mauvais combat de Laurent Joffrin, Eric Mettout, rédacteur en chef de LExpress.fr, souligne quant à lui qu’”Internet n’est pas plus responsable des débordements qui s’y produisent que l’imprimerie des dérapages du Sun” :

Les tenants de sa neutralité ne sont pas allergiques « à toute application à la Toile des règles professionnelles ou des lois en vigueur dans les autres médias », mais, au contraire, aux carcans sur mesure, Acta, Sopa, Pipa, Hadopi, bientôt CSA… que veulent lui imposer ceux qui nous gouvernent – et quelques journalistes mal renseignés.

Par ailleurs, et comme le rappelle de son côté Xavier Berne sur PCInpact, le Net n’est pas une “zone de non-droit“, Martin Rogard, directeur France de DailyMotion, précisant à ce titre qu’on trouve 12960 citations du mot Internet sur legifrance…

En 2010, Laurent Joffrin, au détour d’une tribune appelant à “faire payer Google” au motif que “les internautes, pour une grande partie, se contentent de butiner les résumés qu’ils trouvent à portée de clic sur Google (et que) les journalistes du monde entier, sans trop en avoir conscience, travaillent ainsi, non pour le roi de Prusse, mais pour les actionnaires de Google”“, avait déjà étal toute son mépris et sa méconnaissance du Net en écrivant une phrase qui a beaucoup tourné sur Twitter :

Si le Net est un magnifique outil de diffusion, il ne produit rien.

Entre autres choses, le Net produit de la conversation, du débat, de la confrontation d’idées, il permet aux gens qui le veulent de pouvoir s’informer, se renseigner, de répondre à ceux qui écrivent n’importe quoi mais également de… s’offrir un bon coup de com’ buzz’ à peu de frais.

Benoît Raphaël souligne en effet que “Laurent Joffrin est remonté dans le radar des buzz de ce début de semaine“, au point d’arriver en 6e position sur les dernières 24 heures, derrière Rihanna et Johnny Halliday, et devant Neil Armstrong. Illustration avec ce petit florilège de vos réactions sur Twitter, où l’on ne trouvait personne à défendre la prise de position de Laurent Joffrin :


Photo de Laurent Joffrin via Wikimedia Commons (CC BY SA David Monniaux) et bidouillée par Owni ~~~~=:)

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Rapport de force sur les interouèbes http://owni.fr/2011/06/06/rapport-onu-g8-force-interouebes-internet/ http://owni.fr/2011/06/06/rapport-onu-g8-force-interouebes-internet/#comments Mon, 06 Jun 2011 18:01:43 +0000 Andréa Fradin et Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=66510 Branle-bas de combat dans le réseau. Fini les placards, maintenant c’est sûr, Internet a pris une envergure internationale et les différents acteurs institutionnels avancent leurs pions pour faire face à ce nouvel enjeu. Après le G8, qui a mis les utilisateurs sur la touche et la défense de la propriété intellectuelle au centre des préoccupations, c’est au tour des Nations Unies de donner de la voix.

Dans une tonalité bien différente de celle employée par les gouvernants de ce monde.

Tous ceux qui veulent changer le monde

“Le Rapporteur Spécial considère que le fait de couper l’accès à Internet, quelle que soit la justification avancée, y compris pour des motifs de violation de droits de propriété intellectuelle, est disproportionné et donc contraire à l’article 19, paragraphe 3, du Pacte International relatif aux Droits Civiques et Politiques.”

Rapport sur la promotion et la protection de la liberté d’expression et d’opinion, page 21

Opposé à une coupure de la connexion Internet, préoccupé par la mise en oeuvre de technologies de blocage ou de filtrage “souvent en violation avec l’obligation faite aux États de garantir la liberté d’expression”: le document des Nations-Unies, rendu en fin de semaine dernière [PDF], pouvait difficilement être plus éloigné des positions prises par les gouvernants réunis à Deauville, les 26 et 27 mai derniers, à l’occasion du G8.

Les thématiques dominantes du rapport des Nations Unies

Les thématiques dominantes de la déclaration finale du G8

Dans une déclaration commune, les chefs d’État renouvelaient alors leur ”engagement à prendre des mesures fermes contre les violations des droits de propriété intellectuelle dans l’espace numérique, notamment par des procédures permettant d’empêcher les infractions actuelles et futures”. L’occasion de préparer le terrain à la signature du traité ACTA, en négociation depuis près de quatre ans, et qui vise à introduire des sanctions pénales pour les “pirates de tous les pays”.
Et mises à part les déclarations d’intention d’usage (”l’Internet est désormais un élément essentiel pour nos sociétés”, ” la censure ou les restrictions arbitraires ou générales sont incompatibles avec les obligations internationales des États et tout à fait inacceptables”), aucune mention n’a clairement hissé la protection de la liberté des internautes au-desssus d’impératifs économiques ou sécuritaires. Neutralité des réseaux, protection des données personnelles: sur ces points pourtant essentiels à la pérennité et au développement du réseau, seul a été évoqué ”le défi de promouvoir l’interopérabilité et la convergence entre [les] politiques publiques”. Du charabia diplomatique qui n’offre pas grand chose de solide. Ou de fiable.

L’ONU contre-attaque

En optant pour le contre-pied, pour ne pas dire le tâcle franc en direction des dirigeants du G8, les Nations-Unies ont marqué d’un même coup quelques points au sein de la communauté des défenseurs des libertés sur Internet. Du côté de la Quadrature du Net, on se réjouit de l’initiative, ne manquant pas au passage de relever les contradictions entre les grandes puissances et l’organisation internationale. Seul problème, de taille: si l’ONU peut gronder, elle peut difficilement passer de la parole aux actes. D’autant que l’organisation mondiale a chapeaute déjà l’Internet Governance Forum (IGF) . Sans renier la portée symbolique du rapport, non négligeable dans une sphère où la retenue diplomatique est de mise, difficile d’entrevoir son effectivité.

Il aura peut-être le mérite de faire sortir du bois les différents acteurs qui souhaitent jouer un rôle dans la sacro-sainte “gouvernance de l’Internet”. Les États bien sûr, mais également des institutions telle la Commission Européenne, dont les multiples virevoltes sur le sujet commencent à agacer. Soufflant le chaud et le froid, un jour explicitement en faveur de la neutralité sur tous les réseaux, l’autre permissive sur les dispositifs de blocage sur l’Internet mobile, la Commission n’a de cesse de faire le yoyo entre pressions opérateurs de télécommunication et intérêts des usagers. Il faut dire que la situation en Europe est loin d’être harmonisée (voir notre carte à ce sujet), le continent faisant le grand écart entre une France à la riposte graduée qui patine et des Pays-Bas qui viennent d’adopter une loi interdisant blocage et dégradation des applications sur l’Internet mobile… garantissant ainsi légalement la neutralité des réseaux.


Illustration CC FlickR: rickyli99

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L’Internet civilisé selon Sarkozy http://owni.fr/2011/05/23/de-l%e2%80%99internet-des-%e2%80%9cpedo-nazis%e2%80%9d-a-l%e2%80%99%e2%80%9dinternet-civilise%e2%80%9d/ http://owni.fr/2011/05/23/de-l%e2%80%99internet-des-%e2%80%9cpedo-nazis%e2%80%9d-a-l%e2%80%99%e2%80%9dinternet-civilise%e2%80%9d/#comments Mon, 23 May 2011 18:00:49 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=64092

Internet s’est développé de façon tellement forte qu’on ne peut plus l’arrêter; et on peut considérer que toute population qui est soumise à la connaissance va plutôt aller vers la démocratie que vers le totalitarisme.
Daniel Ichbiah, dans l’un des tous premiers reportages TV consacré à l’Internet, en 1995.

Le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail.
Ils ont cru qu’ils étaient supérieurs, qu’ils étaient plus avancés, qu’ils étaient le progrès, qu’ils étaient la civilisation.
Ils ont eu tort.
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur sa conception de l’Afrique et de son développement, à Dakar le 26 juillet 2007.

La révélation, par Frédéric Martel sur Marianne2.fr, que Nicolas Sarkozy avait empêché Bernard Kouchner d’organiser une conférence internationale sur la liberté d’expression sur Internet, montre bien à quel point le président de la République cherche moins à “civiliser” l’Internet qu’à le “coloniser“, avec tout ce que cela peut signifier en terme d’atteintes aux libertés, de discriminations, et de violences institutionnelles :

Alors que Kouchner évoquait les « cyberdissidents », Nicolas Sarkozy répond en termes de « cybercriminalité ». Kouchner met en avant la « liberté de la presse », le président craint, lui, les « zones de non-droit », propose de « bâtir un Internet civilisé, respectueux des droits de tous ». Le ministre militait pour défendre les « droits de l’homme » et un Internet « ouvert », Sarkozy lui répond que cette conférence doit être « l’occasion de promouvoir les initiatives de régulation, en particulier la loi Hadopi ». Sarkozy choisit un Internet fermé !

De fait, “l’Elysée ne veut pas entendre parler de cyberdissidence, ni de liberté d’expression, il veut du « contrôle »“, ce pour quoi “les cyberdissidents deviennent définitivement persona non grata au e-G8“.

Cette décision, émanant du président de la “patrie des droits de l’homme“, est politiquement scandaleuse. D’un point de vue diplomatique, elle révèle le décalage total qui sépare l’Elysée de ce qui se passe sur l’Internet : non content de mettre son véto au projet de Bernard Kouchner, Nicolas Sarkozy l’a remplacé par Michèle Alliot-Marie, qui, plutôt que d’aider les cyberdissidents de Tunisie, s’est empressée de proposer d’aider les policiers de Ben Ali… En terme de politique étrangère, un véritable fiasco.

e-G8 : tu la sens, ma civilisation ?

De fait, le mot d’accueil de Nicolas Sarkozy, qui vient d’être mis en ligne à la veille de l’ouverture de l’e-G8, et donc trois jours après les révélations de Marianne2.fr, opère un revirement à 180° :

En quelques années, Internet a permis de réaliser l’ambition des philosophes des Lumières en rendant le savoir disponible accessible au plus grand nombre. Internet a aussi renforcé la démocratie et les droits de l’Homme en amenant les États à être plus transparents sur leur fonctionnement voire, dans certains pays, en permettant aux peuples opprimés de faire entendre leur voix et d’agir collectivement au nom de la liberté.

Il suffit pourtant de relire l’anthologie, compilée par Marc Rees de PCInpact, des propos tenus depuis 2007 par Nicolas Sarkozy et ses petits soldats de l’”internet civilisé” (Christine Albanel, Frédéric Mitterrand, la présidente de l’HADOPI Marie François Marais, Muriel Marland-Militello et Franck Riester) pour s’apercevoir que ce revirement doit probablement bien plus aux révélations de Martel qu’à une véritable prise de conscience (placez votre souris sur les images afin d’afficher les propos associés pour mieux profiter de la visualisation qu’OWNI avait réalisé de cette anthologie) :

Il suffit également de regarder la carte des Internets européens qu’OWNI publiera à l’occasion de l’e-G8 pour mesurer à quel point la France a bien mérité d’être placée, cette année, “sous surveillance” dans le listing des “ennemis de l’Internet” établi par Reporters sans frontières (RSF).

Un “Internet civilisé” inspiré par la censure chinoise

Non content d’abandonner les cyberdissidents aux bons soins de leurs dictateurs, et de placer la France en tête des pays qui restreignent les libertés sur l’Internet, Nicolas Sarkozy a donc repris à son compte la notion d’”internet civilisé” introduite par la République populaire de Chine en 2006 afin de justifier sa Grande e-muraille de Chine, créée pour surveiller, filtrer et censurer l’Internet chinois.

La campagne “Que soufflent les vents de l’Internet civilisé” (“Let the Winds of a Civilized Internet Blow“) avait alors été lancée, raconte le New York Times, dans le cadre d’une campagne plus vaste de “moralisation socialiste” afin de renforcer le contrôle politique et social de la Toile, et d’obliger les fournisseurs de services et contenus à nettoyer leurs serveurs des contenus “offensants“, allant de la pornographie aux critiques politiques ou propos dissidents.

Au-delà de ce rapprochement, pour le moins curieux, entre les intérêts “moraux” du parti communiste chinois et ceux défendus par Nicolas Sarkozy, l’utilisation même de l’expression “Internet civilisé” souligne bien à quel point, pour ceux qui l’exploitent, le Net tel qu’il existe depuis au moins 15 ans maintenant, relèverait, sinon de la barbarie, tout du moins d’un espace qu’il conviendrait de “coloniser“.

Cette vision anxiogène avait opportunément été pointée du doigt, en 2009, par Nathalie Kosciusko-Morizet, qui avait déclaré :

C’est bizarre : à en croire certains médias, sur Twitter & Facebook, il y a plein de résistants en Iran, mais que des pédophiles et des nazis par ici.

Une approche qui ne date pas d’hier, comme en témoigne cette compilation de reportages diffusés à la fin des années 90 par la télévision française et selon lesquels le Net serait un repère truffé de pédophiles, de nazis, de pirates, de terroristes aussi :

La boucle est bouclée : de même qu’il fallait “coloniser” “civiliser” les barbares indigènes afin de leur imposer la religion chrétienne, et de s’accaparer leurs richesses économiques, tout en leur conférant un statut de sous-citoyens dotés de moins de droits que ceux accordés aux colonisateurs, il conviendrait aujourd’hui de “coloniser” “civiliser” les internautes, au prétexte qu’ils ne respecteraient pas le droit d’auteur, et que leurs libertés feraient la part belle aux représentants de la lie de l’humanité…

70 CEO vs 10 ONG

Dans son mot d’accueil, Nicolas Sarkozy vante également la “dynamique multipartite et le rôle moteur joué par le secteur privé et la société civile” sur l’Internet, ce qui l’a “convaincu de convier à Paris les principales parties prenantes de l’écosystème“. La consultation de la liste des intervenants donne la mesure de cette “concertation nouvelle qui reconnaisse la légitimité et la responsabilité des acteurs concernés“. On y dénombre en effet :

  • plus de 70 “CEO” et autres représentants des acteurs industriels et économiques (dont Mark Zuckerberg, Eric Schmidt, Alain Minc, Xavier Niel (actionnaire de 22Mars, éditeur d’OWNI, NDLR), Pascal Nègre ou encore le magnat de la presse Rupert Murdoch, qui viendra parler de… “la prochaine frontière numérique : l’éducation“),
  • une dizaine de journalistes (souvent présents en tant que modérateurs),
  • une petite dizaine d’universitaires ou représentants d’ONG (dont Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia, le professeur de droit Lawrence Lessig -auteur des Creative Commons-, John Perry Barlow, co-fondateur de l’Electronic Frontier Foundation, et auteur de la déclaration d’indépendance du cyberespace, Jean-François Julliard de RSF ou encore Mitchell Baker, présidente de la Mozilla Foundation),
  • et 8 représentants de gouvernements (dont Eric Besson, Frédéric Mitterrand et Neelie Kroes, en charge du numérique à la Commission européenne).

Plusieurs campagnes et pétitions ont ainsi été lancées, ces dernières semaines, pour déplorer cette conception toute particulière de l’”écosystème” du numérique, le peu de cas fait de la société civile (70 entreprises privées d’un coté, 10 ONG de l’autre).

La Coalition pour la Gouvernance d’Internet, qui réunit de nombreux pionniers de la gouvernance de l’internet, a ainsi publié une lettre ouverte (en français) où elle se dit “très inquiète de la façon dont le e-G8 Forum est organisé car il ne tient pas compte des bonnes pratiques actuelles en matière de politique publique (et) jette aussi par-dessus bord le principe de participation multipartite qui s’est développé à l’échelle mondiale, particulièrement dans le secteur de la gouvernance d’Internet” :

Les grandes entreprises exercent déjà une influence disproportionnée sur les processus de politique publique. Que des gouvernements valident une conférence spécifique avec des leaders et des fonctionnaires de haut niveau pour planifier l’ordre du jour mondial concernant les politiques relatives à l’Internet est inapproprié.

De son côté, Access, une ONG internationale de défense des libertés sur le Net, vient de lancer une pétition pour appeler le G8 à protéger le Net :

Nous vous exhortons à vous engager publiquement à mener des politiques axées sur les citoyens et visant par exemple à élargir l’accès internet pour tous, à combattre la censure et la surveillance numériques, à limiter la responsabilité des intermédiaires techniques, et à respecter les principes de la neutralité du Net.

Enfin, la Quadrature du Net a, avec d’autres ONG de défense des libertés, lancé g8internet.com afin d’y lancer un “Appel à la résistance créative” :

Internet est l’endroit où nous nous rencontrons, communiquons, créons, nous éduquons et nous organisons. Cependant, alors que nous sommes à un tournant dans la jeune histoire du Net, il pourrait tout aussi bien devenir un outil essentiel pour améliorer nos sociétés, la culture et la connaissance qu’un outil totalitaire de surveillance et de contrôle.

Pour les signataires, l’extinction du Net égyptien, la réaction du gouvernement américain à WikiLeaks, l’adoption de mécanismes de blocage de sites web en Europe, ou encore les projets de « boutons d’arrêt d’urgence » sont “autant de menaces majeures pesant sur notre liberté d’expression et de communication (qui) proviennent d’industries et de politiciens, dérangés par l’avènement d’Internet” :

En tant qu’hôte du G8, le président Nicolas Sarkozy veut renforcer le contrôle centralisé d’Internet. Il a convié les dirigeants du monde à un sommet visant à œuvrer pour un « Internet civilisé », un concept qu’il a emprunté au gouvernement chinois. Par le biais de peurs telles que le « cyber-terrorisme », leur objectif est de généraliser des règles d’exception afin d’établir la censure et le contrôle, attaquant ainsi la liberté d’expression et d’autres libertés fondamentales.

Un bon coup de karcher pub

Une chose est de diaboliser l’Internet, et d’attenter aux libertés des internautes, une autre est de casser le thermomètre qui avait été créé pour accompagner la montée en puissance de l’Internet, répondre aux questions que cela pouvait poser, mettre autour d’une même table acteurs économiques, politiques et représentants de la société civile, et qui avait permis, ces dix dernières années, de montrer que le Net n’est pas cet “espace de non-droit” qui mériterait d’être “civilisé“.

Dans l’article qu’ils avaient consacré à l’”Internet civilisé“, Laurent Checola et Damien Leloup, du Monde.fr, avaient ainsi relevé cette phrase pleine de sous-entendus :

Nous allons mettre sur la table une question centrale, celle de l’Internet civilisé, je ne dis pas de l’internet régulé, je dis de l’internet civilisé.

De fait, depuis les années 90, de nombreuses conférences internationales cherchent à réguler l’Internet. C’est même ce pour quoi avait été créé le Forum des droits sur l’internet (FDI), à qui Nicolas Sarkozy a opportunément décidé de couper les subsides en décembre dernier, provoquant sa “dissolution anticipée“.

La mission du FDI était en effet précisément de “mieux comprendre les enjeux du monde en réseau, identifier ses problématiques et y répondre efficacement“, et sa composition, en deux collèges (acteurs économiques et utilisateurs), avait permis une véritable concertation entre les entreprises, les pouvoirs publics et les associations représentant la société civile.

La page consacrée à ses valeurs montre à quel point l’Internet n’y était pas perçu comme un espace anxiogène, qu’il conviendrait donc de “civiliser” :

La sphère virtuelle n’est pas un monde à part : le droit et les principes fondamentaux de la sphère réelle s’y appliquent, bien que certaines problématiques soient spécifiques à l’internet. Ces principes communs résultent de l’héritage démocratique français et européen et ils assurent le respect et l’équilibre entre des libertés fondamentales : liberté d’expression, vie privée, protection de l’enfant, protection du consommateur, dignité humaine… Les défendre au niveau mondial est une nécessité.

Le monde en réseau ne saurait se limiter à un espace marchand : le développement du commerce électronique et du paiement des services sur les réseaux ne doit pas occulter l’innovation majeure que représente l’internet, celle qui permet à chacun d’entre nous de s’exprimer et de communiquer librement partout dans le monde.

Juste après avoir détruit le FDI, Nicolas Sarkozy a inauguré un “Conseil National du Numérique” (CNN), afin de draguer le numérique et où ne figure, là non plus, aucun représentant de la société civile, mais que des chefs ou représentants d’entreprises privées… Nicolas Voisin (Ndlr, fondateur d’OWNI), pense qu’il est possible de hacker le CNN de l’intérieur, et d’y faire valoir les libertés des internautes.

On attend avec impatience ce qu’en diront les participants à cet e-G8. Le modérateur de l’atelier consacré aux “nouveaux outils pour la liberté“, Olivier Fleurot, le seul Français à avoir dirigé le Financial Times (où il avait brillé en évinçant le directeur de la rédaction qu’il accusait d’être “gratuitement agressif à l’égard de la City“), est le président de l’association européenne des agences de communication (EACA), et a été choisi par Maurice Lévy (le PDG de Publicis, organisateur de l’e-G8), pour faire passer l’agence de pub au mode 2.0, et “accompagner les transferts de budget des médias traditionnels vers le Net et le téléphone mobile“. Tout un programme.


Illustration de tête CC loppsilol.

Retrouvez tous les articles de notre Une e-G8 sur OWNI (illustration de Une CC Elsa Secco pour OWNI)
- Bienvenue à l’e-G8, le Davos du web

G8 du net : les bonnes questions de Nova Spivack

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http://owni.fr/2011/05/23/de-l%e2%80%99internet-des-%e2%80%9cpedo-nazis%e2%80%9d-a-l%e2%80%99%e2%80%9dinternet-civilise%e2%80%9d/feed/ 11
Du cyberespace sécurisé à une “frontière virtuelle Schengen” http://owni.fr/2011/04/29/conseil-union-europeenne-hongrie-frontiere-virtuelle-schengen/ http://owni.fr/2011/04/29/conseil-union-europeenne-hongrie-frontiere-virtuelle-schengen/#comments Fri, 29 Apr 2011 10:25:17 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=59972 MaJ du 26/05/2011 : EDRI, une ONG de défense des libertés sur l’internet, s’est procuré une présentation plus complète du dispositif. Objectif, comme le rapporte l’article de Vincent Truffy (abonnés) sur Mediapart :

passer dans les pays de l’Union d’un accès à un Internet ouvert – et éventuellement dangereux – à un intranet sécurisé qui, faute d’empêcher les «contenus illégaux», les rendrait invisibles au plus grand nombre en empêchant les internautes de se connecter aux sites inscrits sur une liste noire.

Les citoyens européens seraient-ils plus en sécurité s’ils naviguaient, non pas sur l’internet, mais sur un intranet sécurisé ? Si, à la manière de l’internet chinois, les fournisseurs d’accès étaient non seulement charger de filtrer l’internet, mais également de surveiller les “points d’entrée virtuels” sur l’internet européen, à la manière d’un cyberespace Schengen ?

La proposition [.pdf], très sérieuse, a été faite mi-février par la présidence du LEWP (Law Enforcement Working Party), un groupe de travail au sein du Conseil Justice et affaires intérieures de l’Union européenne. Dirigé par le pays qui occupe la présidence du Conseil de l’UE (en l’espèce, la Hongrie), le LEWP est considéré comme “un maillon important dans la législation européenne” dont l’importance “est peu susceptible d’être surestimée“.

Cybercrime

La présidence du LEWP a présenté son intention de proposer des mesures concrètes visant la création d’un cyberespace sécurisé européen doté d’une sorte de “frontière virtuelle Schengen” et de “points d’entrée virtuels” au moyen desquels les fournisseurs d’accès à internet (FAI) pourraient bloquer les contenus illicites basés sur une “liste noire” européenne. Les délégations ont également été informées qu’une conférence sur le cyber-crime se tiendrait à Budapest les 12 et 13 avril 2011.

L’information, repérée par l’ONG Statewatch, vient d’être relayée par le journaliste Glyn Moody qui, passé l’étonnement de voir qu’il se trouve encore des gens, en 2011, pour employer le terme de “cyberespace“, résume le projet en évoquant une improbable et impossible “imposition de la censure à l’échelle européenne” :

Ils n’ont qu’à regarder la porosité de la Grande Muraille (virtuelle) de Chine, qui a pourtant été créée et perfectionnée par des experts possédant d’énormes ressources.
Le fait que les «listes noires» (a) ne fonctionnent pas et (b) sont toujours imparfaites semble ne pas avoir été mesuré par ces corniauds de Bruxelles.
Quand bien même elles fonctionneraient, il est scandaleux que l’Union européenne puisse envisager leur utilisation sans le moindre accès de conscience.

L’affaire fait également les choux gras des médias germaniques. Interrogé par DiePresse, Andreas Wildberger, secrétaire général de l’association des FAI autrichiens, qualifie la proposition de “tout à fait absurde” et de techniquement impossible à mettre en œuvre.

Sur Heise, Jimmy Shulz, député FDP responsable de la commission parlementaire allemande sur l’internet et la société numérique, qualifie lui aussi la proposition de “non-sens complet” et de “non-sens technique“, tout en brocardant ces “bureaucrates de Bruxelles” qui veulent ainsi s’inspirer de la censure en œuvre en Chine pour faire de l’internet un espace aussi “propre que Disneyland“…

Il est impressionnant de voir le nombre d’organisations qui poussent à la mise en œuvre d’une solution Internet à la chinoise“, s’étonne de son côté un représentant de Censorship AK, une organisation lutte contre la censure sur l’internet. Sur son blog, l’ONG imagine ainsi ce que serait un Internet où tout ce qui ne serait pas autorisé serait bloqué, tel que le mot “enfant” dans une URL, marque déposée par la société Ferrero…


Photo via FlickR CC by-nc-sa loehrwald

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PKM: “Faire du CNN un aiguillon de la politique numérique” http://owni.fr/2011/03/02/pkm-faire-du-cnn-un-aiguillon-de-la-politique-numerique/ http://owni.fr/2011/03/02/pkm-faire-du-cnn-un-aiguillon-de-la-politique-numerique/#comments Wed, 02 Mar 2011 07:54:49 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=49165 Voulu par Nicolas Sarkozy, chapeauté par Éric Besson, le Conseil national du numérique, bien nommé “CNN”, devrait bientôt voir le jour. Chargé de réfléchir aux orientations de ce conseil des sages du numérique, Pierre Kosciusko-Morizet, président de PriceMinister et frère de vous savez qui, a remis son rapport le 14 février dernier. Le document de travail, rendu public quelques jours plus tard -et consultable en intégralité sur PCINpact-, a suscité de nombreuses réactions, pour la plupart positives, ce dont se félicite “PKM”. “En matière de numérique, a-t-il confié à OWNI, c’est difficile d’obtenir des retours enthousiastes, alors oui, nous sommes contents !”

Volonté d’indépendance, rejet de la casquette de régulateur et correction de certaines erreurs d’appréciation (dont une chiquenaude remarquée au chef de l’Etat: “l’Internet n’est pas le ‘far web’” (p. 14) ), le tout présenté sans détours ni langue de bois, ont séduit les observateurs.

Quelques doutes subsistent néanmoins, sur les valeurs et surtout l’efficacité réelle du futur Conseil, dont la création devrait être actée d’ici deux à trois semaines, indiquait il y a quelques jours le responsable juridique de PriceMinister Benoît Tabaka. Une information confirmée par PKM, qui se livre pour OWNI à une petite explication de texte.

Quelles sont les missions du CNN ?

Le CNN doit être deux choses. Tout d’abord un lieu de dialogue, le plus en amont possible. Sinon, sans consultation, il y aura nécessairement opposition et une réaction hostile aux projets de loi. Les “c’est du n’importe quoi”, les “c’est pas bon” repartiront de plus belle. Il faut sortir de cette boucle.

Il doit aussi avoir un rôle de prospective: proposer des idées pour une politique du numérique à long terme, en consultant les acteurs du secteur. Orienter la politique numérique. Le problème aujourd’hui est que bien souvent, il y a plein d’idées, des propositions sont faites, mais que chaque année et demi, le gouvernement change et que tout est bouleversé. Du coup, on ne fait rien.

Il faut se donner les moyens de regarder dans le rétroviseur, de constater ce qui a été fait ou non, de ce qui a été une réussite ou un échec. Si on revient toujours à zéro, c’est infernal ! On n’a jamais le temps de faire quoi que ce soit et ça, c’est terrible, surtout pour le numérique.

Vous insistez sur l’importance d’une consultation “systématique” du CNN “avant chaque projet de texte relatif au secteur du numérique” (p.17) ou dès que le besoin se fait sentir au Parlement. Condition d’une réussite du CNN ?

On ne peut pas obliger la  saisine du CNN. Par contre, le comité peut s’auto-saisir de certains dossiers et même en refuser certains: dans la mesure où le numérique concerne un très grand nombre de domaines, et ce de plus en plus, on ne peut pas imaginer qu’il s’occupe de chacun d’entre eux.

Après, il est vrai que si trop de dossiers importants passent sans saisine du CNN, il y aura un vrai problème.

Les réactions sont plutôt positives pour le moment. Pour beaucoup, elles saluent la distance que prend le rapport avec Eric Besson. Vous avez fait le choix de vous démarquer du ministère ?

Certains disent en effet que le rapport va complètement à l’encontre du ministre et de son plan France Numérique 2012. Je ne pense pas que ce soit aussi tranché.

En me demandant de rédiger le rapport, c’est vrai qu’Eric Besson prenait le risque de voir des avis divergents du sien. Il se doutait que je n’allait pas aller systématiquement dans son sens. Je me demandais évidemment ce qu’il allait penser du rapport, mais visiblement il a respecté mes réflexions. On ne m’a rien demandé de changer, ce que je n’aurais d’ailleurs pas fait. Eric Besson m’a remercié pour mon travail dans un communiqué, mais je n’ai pas eu d’échanges directs sur le contenu du rapport. A mon avis, le ministère est plutôt content du résultat; j’espère qu’il va le suivre.

“Le CNN n’est qu’un aiguillon de la politique numérique; son rôle n’est que consultatif”

L’indépendance du CNN reste tout de même au coeur du rapport. Pensez-vous qu’il y a un risque réel que le CNN devienne une annexe du gouvernement ?

J’ai recommandé que le CNN soit rattaché au Premier Ministre, notamment d’un point de vue financier. C’est un gage d’autonomie, ce n’est pas dirigé à l’encontre d’Eric Besson. Il y a aussi un enjeu sur le fond: Internet est un sujet transverse, il ne peut être rattaché à un seul ministère…

Après, s’il n’est pas dégagé du gouvernement, le CNN ne servira à rien. On a besoin d’une sorte de comité des sages avec des gens qui connaissent très bien le numérique. Non pas des lobbyistes, mais des acteurs dont la légitimité est reconnue, mais aussi des internautes, afin qu’ils dialoguent avec le gouvernement et le Parlement.

Le but est aussi de venir à bout de cette opposition ridicule du Parlement et du monde du numérique, jusque là impliqué bien trop tard dans les projets de loi. Forcément, le processus force l’opposition, la réticence. Cette réflexion peut mieux se passer. Un exemple: si on avait choisi ce mode de fonctionnement, on aurait évité plus tôt une absurdité comme la taxe Google.

Vous faites un constat sans détour: le politique s’y est mal pris jusque là dans le numérique et désormais, le CNN va l’assister…

Oui, mais toute proportion gardée, le CNN n’est qu’un aiguillon de la politique numérique; son rôle n’est que consultatif. Il faut être réaliste: les endroits où les décisions sont prises existent déjà.

Mais si les membres sont légitimes, et qu’on se donne les moyens de faire entendre leur voix, alors peut-être qu’on ira au-delà de l’opposition stérile que j’évoquais. Après bien sûr, certains sujets comme Hadopi, sont éminemment politiques et les oppositions seront toujours là. Mais si on peut évacuer quelques points en discutant, tant mieux.

Les parlementaires sont en demande d’une aide sur les questions du numérique ?

Franchement, oui. Parfois ils se disent un peu démunis, parfois carrément perdus et le fait d’être assailli par les actions des lobbyistes n’arrange rien…

Il faut voir que c’est un secteur très technique, qui nécessite en plus de se prononcer très rapidement.

Se pose la question de l’interlocuteur: à qui parler, sachant qu’il existe un grand nombre d’associations, très différentes les unes des autres. Celles-ci travaillent depuis longtemps à une sorte d’unification du numérique, le CNN pourrait, si ce n’est les rassembler, aller au-delà en incarnant l’ensemble du secteur. Il pourrait être une interface entre les ministères et les institutions concernées, en établissant un meilleur dialogue.

Vous n’avez pas peur que ce rôle d’assistant soit mal pris, notamment par les autorités administratives indépendantes qui travaillent déjà sur Internet ? Qu’elles vous reprochent de venir marcher sur leurs plates-bandes ?

Si, effectivement.

Prenons le cas d’Hadopi: selon moi, l’institution n’aurait jamais dû être créée. Selon moi, on va très vite se rendre compte que la Hadopi ne marche pas, certains le constatent d’ailleurs déjà. Le problème c’est que ce ne sera jamais supprimé, c’est symboliquement et politiquement trop important pour voir une telle décision survenir et c’est dommage. Le CNN ne peut pas réparer les erreurs passées, mais si il peut les éviter dans le futur… Maintenant que la Hadopi est là, le CNN peut peut-être aider à son action… Mais c’est vrai que je n’y crois pas tellement. Ca ne va certainement pas se passer comme ça.

“La légitimité du CNN dépend du casting à venir”

Certains redoutent son inefficacité. A partir de quel moment estimeriez-vous que le CNN est une réussite ou, à l’inverse, un échec?

Selon moi, c’est forcément mieux de l’avoir que de ne pas l’avoir. Je suis convaincu que s’il avait été constitué avant, on aurait évité des lois absurdes. Donc c’est forcément positif.

La question désormais est de voir à quel point il sera légitime et cela dépend du casting à venir. Il y a un risque qu’il ne soit pas bon. Cette crainte est légitime; c’est une mise en garde assez saine.

D’autres, notamment des blogueurs, s’inquiètent de l’orientation économique donnée au rapport, arguant qu’Internet dépasse cette seule considération. Qu’avez-vous à leur répondre ?

C’est précisément pour cela que nous avons mis en place la consultation publique, à laquelle les blogueurs ont finalement assez peu répondu, ce qui nous a surpris, à l’inverse des entreprises. Je ne pense pas que ça donne une couleur au rapport, c’est plus le signe qu’elles ont un intérêt pour Internet.

A l’origine, nos consultations ne mentionnaient pas vraiment l’aspect économique. C’est avec les différentes réponses récoltées qu’on en est venu à aborder ce point. Ce n’est pas complètement absurde, quand on réfléchit la plupart des grands débats sur Internet sont orientés sur l’économie du numérique: la taxe Google, la propriété intellectuelle…

Vous évoquez le G20 et la place que le CNN, s’il était créé à temps, pourrait éventuellement tenir. Quelles fonctions avez-vous en tête ?

Franchement, je n’en sais rien. C’est éminemment politique. Nicolas Sarkozy a dit que le G20 allait se focaliser sur Internet. Créer le CNN avant cet événement est donc plutôt une bonne chose. Après, je ne suis pas complètement convaincu que des choses intéressantes se dégagent dans ce cadre là. Les enjeux sont beaucoup plus compliqués, chaque pays a sa propre vision du réseau: une forme de domination culturelle pour les États-Unis, un moyen de contrôler l’info en Chine… je caricature volontairement, mais en gros c’est ça: chaque pays a des intérêts divergents.

“En choisissant la nomination, l’Élysée a voulu aller vite et certainement garder la main sur le CNN”

Quel est le calendrier à venir ?

Courant mars, il devrait avoir la publication de deux décrets -ou de deux en un -, l’un sur la nomination des premiers membres du CNN, l’autre sur la mission du CNN, qui j’espère reprendra de nombreux éléments du rapport.

Sur la nomination justement, vous étiez initialement en faveur d’une élection des membres du conseil…

L’Elysée a choisi la nomination du CNN, certainement pour garder la main dessus et pour aller plus vite. De notre côté, nous voulions des élections: du coup nous proposons une nomination pour le premier comité, pour des raisons d’urgence, mais espérons, dans un deuxième temps, après les premiers mandats de deux ans, une élection.

On peut envisager que les associations votent, collège par collège: associations de FAI, d’e-commerçants, de fournisseurs de contenu, de consommateurs, etc. Ce serait un excellent moyen d’assurer la plus grande représentativité.

Vous évoquez aussi rapidement les nombreuses candidatures que vous avez reçues pour siéger au CNN…

Oui, c’est un peu la fête ! Ils lisent tous le rapport et j’ai beau leur dire que je ne m’occupe pas de la composition, ils ne me croient pas. Les profils sont plus ou moins légitimes et très diversifiés: du grand patron de groupe aux blogueurs. Je transmets au ministère de l’industrie quand les candidatures me semblent pertinentes. Il y en a beaucoup plus que le nombre de places.

Combien de membres justement ?

Entre dix et douze, dont trois ou quatre permanents.

Rémunérés ?

Pour moi, les membres du Conseil devront être bénévoles (je précise que je l’ai été aussi pour cette mission), sinon leur indépendance ne saurait être assurée. Cela permettra aussi d’établir une structure plus légère qui est nécessaire au bon fonctionnement du CNN.

Vous déclarez en préambule du rapport que vous ne souhaitez pas être membre du Conseil national du numérique. C’est toujours d’actualité ?

Oui, je pars en vacances ! Sérieusement, je ne veux pas en être. Je ne peux pas être à la fois responsable de la mission et membre du CNN. Si cela avait été le cas, on m’aurait taxé de ne pas être indépendant et de me fabriquer un job sur mesure. Je suis en plus très occupé et pour que le CNN fonctionne, il faut selon moi lui consacrer beaucoup de temps. Mais cela ne veut pas dire que je serai absent du débat public sur le Comité et sur Internet.


Illustrations CC FlickR: leafar, PriceMinister (1, 2)

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Internet, subprimes… quand la crédulité des économistes fait des bulles http://owni.fr/2010/11/23/internet-subprimes-quand-la-credulite-des-economistes-fait-des-bulles-speculation-bourse-enron/ http://owni.fr/2010/11/23/internet-subprimes-quand-la-credulite-des-economistes-fait-des-bulles-speculation-bourse-enron/#comments Tue, 23 Nov 2010 10:29:01 +0000 Stéphane Bortzmeyer http://owni.fr/?p=37245 Vous vous souvenez de la grande bulle de l’Internet en 1999-2001, lorsque des prédictions délirantes amenaient des milliers d’investisseurs à injecter plein d’argent dans le réseau que tous les costards-cravate sérieux méprisaient seulement quelques années auparavant ? Dans un article très détaillé et très érudit, « Bubbles, gullibility, and other challenges for economics, psychology, sociology, and information sciences », Andrew Odlyzko revient sur cette bulle, sur celles qui l’ont précédé et celles qui l’ont suivie.

Des business plans qui prévoyaient plus d’usagers du web que d’habitants sur Terre

Odlyzko étudie surtout trois bulles, celle des chemins de fer britanniques vers 1845, celle de l’Internet en 1999-2000, et celle des subprimes qui s’est écroulée en 2008. À chaque fois, on retrouve les mêmes ingrédients notamment une formidable crédulité et une incapacité, chez des gens qui ont tous fait Harvard ou Polytechnique, à faire des maths élémentaires, par exemple des calculs d’intérêts composés (certaines prévisions faites pendant la bulle de l’Internet menaient en peu de temps à ce qu’il y ait davantage d’utilisateurs de l’Internet que d’habitants sur Terre). Ainsi, le mathématicien John Paulos, l’auteur de Innumeracy: Mathematical Illiteracy and its Consequences a lui même perdu beaucoup d’argent dans la bulle de l’Internet, pourtant basée sur des mathématiques ridicules.

L’auteur en déduit qu’on peut même tenter de définir un « indice de crédulité », dont la mesure permettrait d’indiquer qu’on se trouve dans une bulle et qu’il faut donc se méfier. D’autant plus que les personnes précisément chargées de veiller et de donner l’alarme sont les premières à lever les bras avec fatalisme et à dire que les bulles sont indétectables.

L’article cite de nombreuses déclarations d’Alan Greenspan en ce sens ; quoique responsable de la surveillance monétaire, il affirme qu’on ne peut pas détecter les bulles mais n’en a pas pour autant déduit qu’il ne servait à rien et qu’il serait honnête de démissionner. Les journalistes n’ont pas fait mieux et tous reprenaient avec zéro sens critique les communiqués triomphants sur la croissance miraculeuse de l’Internet.

Des pubs “pro bulle” en contradiction avec la documentation officielle !

Odlyzko reprend donc tous les calculs, toutes les affirmations avancées pendant la bulle. Ce n’est pas facile car bien des rapports ultra-optimistes de l’époque ont complètement disparu des sites Web des entreprises concernées. Ainsi, UUNET présentait publiquement, pour encourager les investisseurs, des chiffres (par exemple sur la capacité de son épine dorsale) qui étaient en contradiction avec ses propres documents officiels enregistrés à la SEC. UUnet mentait sur ses capacités antérieures, pour que l’augmentation soit plus spectaculaire.

Cette partie d’analyse a posteriori de la propagande pro-bulle est certainement la plus intéressante de l’article. Il faut la garder en mémoire à chaque fois qu’on voit un Monsieur sérieux faire des prévisions appuyées sur du PowerPoint. Avec le recul, c’est consternant d’imbécillité, le terme « crédulité » parait bien indulgent, puisque tout le monde pouvait vérifier les documents SEC et refaire les calculs (qui étaient trivialement faux). Et pourtant, non seulement cela a eu lieu, mais cela a recommencé quelques années après avec les subprimes. D’autres embrouilles étaient utilisées pour tromper les investisseurs (victimes très consentantes, puisque la vérification aurait été facile), comme de confondre la capacité du réseau et le trafic effectif.

Les escroqueries comme celle de WorldCom ou d’Enron ne sont pas une nouveauté. Vu l’absence totale de sens critique avec lequel sont accueillies les bulles, on peut même se demander, et c’est ce que fait Odlyzko, s’il n’y a pas une raison plus profonde à la crédulité. Par exemple, les empereurs romains, pour tenir le peuple, lui fournissaient « du pain et des jeux ». Aujourd’hui, peu de gens dans les pays riches ont faim et les jeux sont peut-être devenus plus importants que le pain. Les bulles ne sont-elles pas simplement un spectacle ?

Ou bien ont-elle une utilité réelle, par exemple pour convaincre les investisseurs de faire des dépenses lourdes et qui ne rapporteront rien ? Ainsi, la bulle des chemins de fer britanniques vers 1845 a ruiné des investisseurs crédules comme les sœurs Brontë, Charles Darwin ou comme le pédant économiste John Stuart Mill (qui, comme tous les économistes, pontifiait dans le vide sur les beautés du capitalisme, mais ne savait pas reconnaître une bulle) mais elle a aussi permis à la Grande-Bretagne d’avoir un formidable réseau ferré sur lequel son économie a pu s’appuyer. Finalement, les bulles servent peut-être à quelque chose ?

Article publié initialement sur le blog de Stéphane Bortzmeyer sous le titre Des bulles et de la crédulité.

Photos : FlickR CC WoodleyWonderworks ; Mike Licht ; Kenneth Moore.

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Le portefeuille de BNP : un diamant plus gros que la France http://owni.fr/2010/11/17/le-portefeuille-de-bnp-un-diamant-plus-gros-que-la-france/ http://owni.fr/2010/11/17/le-portefeuille-de-bnp-un-diamant-plus-gros-que-la-france/#comments Wed, 17 Nov 2010 17:16:24 +0000 Napakatbra (Les mots ont un sens) http://owni.fr/?p=37201 Le décompte de Bloomberg a de quoi faire frémir. Les actifs de BNP Paribas ont augmenté de 34% sur les trois dernières années, pour atteindre 2 240 milliards d’euros… soit plus que les actifs de Bank of America (la plus grande banque américaine) et de Morgan Stanley réunis ! Et, surtout, plus que le produit intérieur brut (PIB) français ! Logiquement, une telle niouze aurait dû faire les choux gras de la presse nationale, toujours prompte à enfourcher le coq pour hisser haut notre magnifique drapeau tricolore. Sauf qu’il aurait été difficile d’évoquer cette étude sans… rapporter l’analyse qui va avec.

Car Bloomberg affirme aussi que l’exploit de BNP Paribas a été rendu possible par la nonchalance du législateur français, qui se moque totalement de la régulation bancaire, en flagrante opposition avec les envolées lyriques de Nicolas Sarkozy… devant les caméras tout du moins

Résultat : d’une part, BNP possède certainement l’un des ratios de capitalisation les plus faibles de la place européenne, et, d’autre part, la France (avec l’aide de l’Allemagne) s’emploie systématiquement à torpiller les propositions de régulation avancées dans le cadre des négociations internationales en cours (Bâle III). Au grand dam de la Suisse, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, qui ont déjà commencé à serrer la vis.

15% de son capital sur des dettes à risque

Nos banques ne parient pas sur des produits aussi moisis que les subprimes. Certes. Mais il ne faudrait pas oublier que BNP Paribas est exposée à hauteur de 15% de son capital sur la zone (à forte activité sismique) Portugal-Irlande-Grèce-Espagne. Et si l’on rajoute la Belgique et l’Italie, on atteint les 75%. Pas franchement rassurant, alors que les rumeurs d’aggravation de la crise économique se font de plus en plus précises.

Une réunion d’urgence des ministres européens est d’ailleurs planifiée, ce soir [mardi 16 novembre au soir, NdE], sur le sujet. Le risque systémique français grandit, tous les jours, au rythme de la goinfrerie bancaire de nos joyeux financiers. Et la France se retrouve dans la situation de l’Irlande, en début d’année dernière. Que BNP éternue et c’est la France qui s’enrhume.

« Les banques françaises ne seront sans doute pas soumises à des règlementations très strictes, à cause de leur importance économique » a déclaré Dirk Hoffmann-Becking, un analyste londonien de Sanford C. Bernstein. Introduire des règles plus rudes reviendrait à « réduire leur gagne-pain, et le gars qui va payer pour ça, c’est le consommateur français » conclut-il. Prions pour que les analystes ne se mettent pas à avoir raison…

(* : l’évaluation de Bloomberg est délicate car les normes comptables bancaires européennes et américaines sont différentes)

Billet publié initialement sur Les mots ont un sens sous le titre Les actifs de BNP Paribas dépassent le PIB de la France.

Photos FlickR CC Marc Vie ; Caroline et Louis Volant.

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Des codeurs sur les bancs de l’Assemblée nationale ? http://owni.fr/2010/10/08/des-codeurs-sur-les-bancs-de-lassemblee-nationale/ http://owni.fr/2010/10/08/des-codeurs-sur-les-bancs-de-lassemblee-nationale/#comments Fri, 08 Oct 2010 07:47:01 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=23153

Récemment le développeur et blogueur Clay Johnson a proposé de mettre des codeurs au Congrès, arguments à l’appui. En France aussi sa proposition trouve un écho, puisqu’à notre connaissance, seul Yves Cochet est classé comme informaticien à l’Assemblée nationale ; curieusement, on a du mal à l’imaginer codant régulièrement, en vrai geek ; si on élargit aux ingénieurs, on tombe sur le mirobolant chiffre de vingt, sachant que leur domaine d’application n’est pas forcément lié au numérique (tableau ci-dessous). Que le niveau de connaissance des députés en la matière soit loin d’être satisfaisant ne fait pas de doutes pour les acteurs du web français et même de la politique interrogés  (Cf. ce mémorable micro-trottoir de Bakchich sur le peer-to-peer). De là à régler ça en envoyant des codeurs sur les bancs, c’est un peu plus complexe et amène à  dépasser le cadre de la simple Assemblée.

Les députés par catégorie socio-professionnelle

Benoit Boissinot, membre du collectif Regards citoyens, se dit “plutôt d’accord avec Clay Johnson mais cela ne se limite pas à la politique : on manque d’informaticiens aux postes de décision qui aient la connaissance des outils et de leurs possibilités pour prendre les décisions optimales et améliorer le fonctionnement. À Regards citoyens, nous voyons bien les lacunes à l’Assemblée nationale.” De fait, on ira plutôt voir leur plate-forme NosDeputes.fr pour se renseigner sur l’activité des députés que sur le site de l’Assemblée nationale. Dans ce contexte de demande de transparence et de responsabilisation (accountability), on peut comprendre que la vénérable institution n’ait pas trop intérêt à s’ouvrir aux développeurs.

Tristan Nitot, président de la fondation Mozilla Europe, juge les arguments de Clay Johnson un peu “tirés par les cheveux, sa solution n’est pas réaliste, mais dans le fond il soulève un vrai problème : la technologie numérique change énormément de chose dans la communication des institutions et dans l’économie. Or il y a très peu de natifs du numérique aux commandes politiques. Ce ne serait pas grave s’ils n’étaient amenés à légiférer et être confrontés au lobbying.”

Un point de vue que rejoint Bernard Benhamou, délégué aux usages de l’Internet, pour qui les technologies influencent ou vont influencer toute l’économie : elles sont une problématique transversale dont l’enjeu est énorme, créer un secteur européen dans le domaine des services. “Faire rentrer des développeurs dans une assemblée serait une rustine, il faut irriguer tout le politique, en intégrant les spécialistes et en améliorant la culture des élus.” Et aux politiques d’impulser la suite, en particulier au niveau de l’UE. Irriguer le politique, “Il faudra des années, vingt ans, le temps que la classe politique change, soupire Tristan Nitot. Là, on a déjà Nathalie Kosciuzco-Morizet qui est jeune, avec un profil d’ingénieur.

Le texte de Clay Johnson et la réponse d’Andrea Di Maio pose aussi de manière générale la question du rôle des experts : suffit-il d’être bien entouré pour juger en connaissance de cause ? “Des conseillers techniques peuvent se montrer très compétents, estime Tristan Nitot, celui de Jean-Paul Huchon a une bonne influence par exemple. Mais être conseillé, c’est une expérience de seconde main, c’est différent d’une compréhension intégrée.

Ce ne sont pas des développeurs qu’il faut, mais des gens qui comprennent le code et savent ce que c’est. C’est assez différent,

estime Jean-Michel Planche, président-fondateur de Witbe, éditeur de logiciels. Réapprendre à mettre le nez sous le capot, à l’heure où les technologies s’effacent de plus en plus, avec comme emblème actuel l’iPad.

Comment ça marche ?

Député d’Eure-et-Loir, secrétaire nationale UMP en charge Médias et Numérique, Laure de la Raudière ne rejoint pas non plus Clay Johnson : “Le métier n’est pas forcément ce qui compte le plus, en revanche, il faut que les politiques s’investissent de plus en plus sur le sujet du numérique, car les enjeux économiques et de société liés au numérique sont majeurs.” Si de par sa formation d’ingénieur Télécom, elle s’y est intéressée plus spontanément et qu’elle y voit un atout pour mieux comprendre, Laure de la Raudière souligne que la connaissance profonde des dossiers passe par des auditions des grands acteurs –opérateurs et fournisseurs de contenus-, d’entrepreneurs du web que d’experts ou de représentants de la société civile -associations comme le GESTE, la Quadrature du Net, UFC-Que choisir, etc-, complétées de lectures personnelles. Elle estime que les connaissances techniques peuvent s’acquérir et qu’en recoupant ses informations, il est possible d’arriver à déterminer quelle position sert le plus l’intérêt général (Cf. la Hadopi, Loppsi…, ndlr). Tout en expliquant, ce qui peut sembler contradictoire, que si les ingénieurs sont si peu présents en politique, c’est que le politique doit en priorité “convaincre, de vendre ses idées”, alors que le raisonnement de l’ingénieur consiste plutôt à “améliorer un process, à être toujours dans le doute.” (sic)

La député pointe également que le nombre de parlementaires spécialistes du domaine de l’industrie, aussi primordial pour l’économie, ne dépasse pas non plus la poignée. Et selon elle de plus en plus de députés s’intéressent au numérique, sujet qui occupe davantage l’actualité politique depuis 2007. Mais de reconnaître qu’elle aimerait qu’il y en ait davantage qui s’investissent et qu’il existe “une marche technique haute à franchir avec ce sujet, et que l’évolution rapide de la technologie oblige à mettre constamment à jour ses savoirs.” On en déduira ce que l’on veut…

Le code informatique est aussi régulateur

Si Benoit Boissinot estime que l’Assemblé nationale devrait, de façon générale, s’ouvrir plus à d’autres professions, car son mode de recrutement manque de diversité, on est en droit de distinguer des degrés d’importance, tant les développeurs ont une influence croissante sur la société. Boucher et codeur, pas même combat. Dans son livre Les Trois écritures, l’historienne Clarisse Herrenschmidt inscrit le code comme troisième grande écriture de l’humanité, après le langage et le nombre.

On en vient aussi inévitablement à évoquer le célèbre “Le code fait la loi” (“Code is law”) de Lawrence Lessig, écrit en 2000 mais plus que jamais d’actualité. Pour ceux qui ne le connaissent pas, voici un résumé : nous sommes à l’âge du cyberspace, où s’opère désormais une partie de la régulation.

Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est

posait l’auteur. Avec ce que cela implique en termes de libertés. Si l’architecture du Net est initialement caractérisée par l’irrégulabilité, cela n’est pas garanti. Et de fait, il observait déjà une évolution dans le sens du contrôle, “sans mandat du gouvernement“. Par exemple, “le fait que l’architecture de certification qui se construit respecte ou non la vie privée dépend des choix de ceux qui codent. Leurs choix dépendent des incitations qu’ils reçoivent. S’il n’existe aucune incitation à protéger la vie privée – si la demande n’existe pas sur le marché, et que la loi est muette – alors le code ne le fera pas.” Le code est donc porteur de valeurs et il s’agit pour les citoyens de rester vigilants dessus. Ou pas. Lawrence Lessig a bien sûr fait son choix :

Nous devrions examiner l’architecture du cyberespace de la même manière que nous examinons le fonctionnement de nos institutions.

Si, comme le rapporte Luke Fretwell, “Howard Dierking, chargé de programmation chez Microsoft, dans  Engineering Good Government suggère que ceux qui ont conçu la Constitution étaient en fait les premiers programmeurs patriotes de la nation américaine“, les programmeurs sont donc en quelque sorte de nouveaux constitutionnalistes.

Dès lors, peser politiquement au sens général du terme ne passe pas forcément par faire de la politique comme on l’entend traditionnellement.Je ne fais pas de politique, explique ainsi Tristan Nitot, faire du code, c’est déjà travailler pour avoir de l’influence et du pouvoir. Je préfère cette façon d’agir. À la fondation, nous diffusons du code incarnant nos valeurs.” Qui de fait, ne sont pas celle de Microsoft et de son Explorer…

Et cela implique donc de surveiller l’architecture du cyberspace. Là encore, faut-il connaître le code ? Bernard Benhamou propose trois pistes, former le régulateur, avoir une vraie réflexion sur l’impact des technologies et éduquer les citoyens. De là à ce que tout le monde apprenne à coder, il ne va pas jusque-là. Il constate que les choses s’améliorent : “Il y a dix ans, lorsque j’enseignais à l’ENA et que je disais que l’Internet allait devenir politique, les gens riaient : ‘on ne va pas s’occuper de cela, nous traitons de choses sérieuses.’ J’ai vu le changement depuis.” Ouf, on a eu peur. Nos élites se sont débouchés le nez.

Le dernier Mac, il roxe grave, j'ai des promos mais chut, ça reste entre nous.

S’inspirer de la mentalité hacker

La similitude entre les deux codes serait plus évidente pour un informaticien : “La loi modifie le code, cela nous semble plus évident et dans les deux cas il faut se montrer logique et cohérent” explique Benoit Boissinot. Après, on peut aussi arguer qu’il y a du code propre et sale dans les deux cas… Détaillant le fonctionnement de l’activité du député, il fait plus précisément le lien avec l’open source. Si code is law, l’inverse est aussi vrai, law is code donc elle se hacke également, au sens premier du terme, “bidouiller” :  “Il y a deux types de projets de loi : ceux déposés pour montrer que l’on est actif, qui ne sont pas destinés à passer et sont mal écrits. Et les lois qui modifient vraiment les codes. Comme dans l’open source, il est possible d’apporter des modifications, des patches. Fondamentalement, c’est très geek comme fonctionnement. Mais c’est spécifique à la France.” Jérémie Zimmermann, le porte-parole de La Quadrature du Net, souligne aussi cet aspect : “Plus que de programmeur, je parlerais de hacker, au sens de bidouilleur passionné qui font en sorte d’arranger les choses.

S’il voit aussi un atout à la mentalité des programmeurs, c’est leur capacité à naviguer dans ses systèmes complexes, “comme la finance ou les lois, qui sont de plus en plus compliqués, pour les découper en bout et les réparer.” Il souligne aussi que les hackers savent utiliser l’Internet pour coopérer à l’échelle mondiale, en particulier les développeurs de logiciels libres : ils vivent par l’entraide et le partage. Une mentalité qui ferait du bien à notre système malade de compétition. Mais est-ce réaliste de vouloir l’implémenter dans le système politique actuel ?… En même temps, par des chemins de traverse, sans demander la permission, La Quadrature du Net et autres Regards citoyens l’introduise.

Sur l’aptitude supposée des développeurs à écrire des lois avec rigueur, le point de vue de Clay Johnson, il faut le pondérer en prenant en compte les différences avec le système législatif américain nous a indiqué Benoit Boissinot. En effet, aux États-Unis les textes laissent une place beaucoup plus importante à la jurisprudence et sont plus longs alors que chez nous les possibilités d’interprétation sont plus réduite. Du coup, l’argument de concevoir des textes plus efficaces possède une portée moins grande. En même temps, quand on regarde le flou juridique de la Hadopi…

Les développeurs de bons communicants, lol

Un argument qui laisse en revanche plus dubitatif, c’est celui de la capacité des développeurs à bien communiquer. Il rejoint en cela Andrea Di Maio, qui indiquait sans ambages : “C’est assez risible. Les bons programmeurs sont souvent timide, centrés sur eux-mêmes, geeky.” Benoit Boissinot se montre pondéré : “C’est variable, certains programmeurs rock stars font très bien passer leur message.” Et de citer dans les bons communicants, “Julian Assange -même si il n’est plus un développeur, c’était un hacker dans sa jeunesse-, Chris Messina -maintenant évangéliste chez Google-, Brian Fitzpatrick et Ben Collins-Sussman, qui même s’ils ne sont pas liés à la politique, font des présentations chouettes, comme ‘How Open Source Projects Survive Poisonous People’, Appelbaum (projet Tor, et WikiLeaks) et en France, Jérémie Zimmerman se débrouille plutôt bien maintenant.” Mais il ne montre pas la même foi dans les capacités de communicant des dév que Clay Johnson : “Les développeurs communiquent plus sur leur passion, d’une façon qui n’est pas forcément intelligible pour le reste de la population.

Tristan Nitot abonde dans ce sens : “Nous avons beaucoup de bons développeurs chez Mozilla mais je ne pense pas que leur capacité à parler en public soit la première de leurs qualités.

Quel candidat ?

Luke Fretwell, dans un billet éloquemment intitulé “How developers can win Congress“, donne ses conseils pour que les candidatures de développeurs au Congrès ne se terminent pas en 404. Il suggère de trouver des leaders. En France, qui pourrait endosser ce costume ? Benoit Boissinot pense à des personnes “impliquées dans des associations, au courant des problématiques législatives : Regards Citoyens, l’April, La Quadrature du Net.”

Tristan Nitot bute d’abord sur la question : “C’est difficile d’être un bon développeur et un bon communiquant.” Finalement, Jean-Michel Planche, Jérémie Zimmermann et Benjamin Bayart “qui ont complètement intégré la dimension sociale de l’impact des logiciels” semblent être ces oiseaux rares. Et lui, il ne serait pas tenté ? Refus poli et argumenté, et ce n’est pas la première fois, pour les raisons expliquées plus haut. Mais il est bien conscient que le politique reste un levier central, sans avoir de solution miracle pour infléchir la donne.

Laure de la Raudière voit bien “un profil de dirigeant de PME innovante sur le web, qui a réussit, et qui aurait à cœur de défendre l’innovation”, sans citer de nom. Ce qui, quoi qu’en disent les zélateurs de la Silicon Valley, se trouve dans nos contrées.

Jérémie Zimmermann, souvent cité comme potentiel prétendant, a autant envie que Tristan de se présenter. Il évoque François Pellegrini, “un brillant chercheur, qui s’est battu sous Rocard pour contre les brevets” ainsi que Philippe Aigrin, à la fois développeur, entrepreneur et “philosophe politique.” Dans l’absolu, un développeur qui aurait su mener à terme un logiciel libre pourrait candidater : “Il faut avoir l’idée, la réaliser, être jugé par ses pairs.” Bref un bon préambule au parcours du combattant de la députation (en principe, si l’on n’envisage pas l’option godillot).

À lire aussi :

Just hack it, compte-rendu de la conférence de Jérémie Zimmerman et Benjamin Ooghe-Tabanou lors de Pas sages en Seine.

Le site de Regards citoyens ; La Quadrature du Net ; L’April ;

Clarisse Herrenschmidt, LES TROIS ÉCRITURES. Langue, nombre, code. Collection Bibliothèque des Sciences humaines, Gallimard, 29,00 euros.

Images CC Flickr yoyolabellut, Jonathan Assink et Ma Gali

Téléchargez le poster d’Elliot Lepers (CC)

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http://owni.fr/2010/10/08/des-codeurs-sur-les-bancs-de-lassemblee-nationale/feed/ 9
Quitter Facebook ne sert à rien! http://owni.fr/2010/06/01/quitter-facebook-ne-sert-a-rien/ http://owni.fr/2010/06/01/quitter-facebook-ne-sert-a-rien/#comments Tue, 01 Jun 2010 13:01:38 +0000 danah boyd (trad. Martin Untersinger) http://owni.fr/?p=17131 Je critique Facebook depuis longtemps, et je suis habituée à ce que mes critiques soient mal interprétées. Quand je me suis lamenté sur le développement du News Feed (Fil D’Actualité), beaucoup de gens ont cru que je pensais que la technologie était un échec et que ce ne serait pas populaire. C’était évidemment faux.

Cela m’ennuyait précisément parce que je savais que ce serait populaire, car les gens aiment les ragots et en apprendre plus sur leur prochain, souvent à leur détriment. C’était très perturbateur et quand le livefeed a été lancé, les utilisateurs pouvaient difficilement contrôler la situation efficacement. Facebook a répondu en mettant en place des moyens de contrôle et les gens ont trouvé un moyen d’interagir avec Facebook et le Flux d’Actualité. Mais les utilisateurs ont perdu dans la manœuvre.

La semaine dernière [NdT, cet article a été publié le 23 mai dernier], j’ai formulé différentes critiques vis-à-vis des changements opérés par Facebook, dans la lignée de mon discours au SXSW. Les deux ont été mal interprétés de façon tout à fait fascinante.

Même les agences de presse ont publié des dépêches du genre “Microsoft veut que Facebook soit considéré comme un service” [NdT : nous avons choisi de traduire le terme "commodity" par "service"]. WTF ?

Sérieusement ? Pour info, je ne parle pas au nom de mon employeur [NdT : Danah Boyd est chercheuse au Microsoft Research New England, centre de recherche de Microsoft], et je ne veux pas non plus de régulation : je pense par contre que c’est un phénomène inévitable et je pense qu’on doit faire avec. Oh, et je ne pense pas que la régulation à laquelle nous allons assister va ressembler de quelque manière que ce soit à celle des autres services en ligne.

Je parlais de ce concept parce que c’est comme ça que Facebook se conçoit. Mais clairement, la plupart des gens n’ont pas compris ça. Les mauvaises interprétations sont frustrantes parce qu’elles me donnent l’impression que je fais un mauvais boulot de communication sur ce que je crois important. Pour ça, je présente mes excuses à tous. J’essaierai de faire mieux.

Celant étant dit, j’énumérerais six croyances (idées) que j’ai et que je veux étayer dans ce billet, à la lumière des discussions récentes sur l’opportunité d’un départ de Facebook.

1. Je ne crois pas que les gens vont (ou devraient) quitter Facebook à cause des problèmes de vie privée et de confidentialité.

2. Je ne crois pas que les élites geeks d’Internet qui quittent ostensiblement Facebook vont avoir un impact sur les statistiques de l’entreprise, ils ne sont pas représentatifs et n’étaient de toute façon pas des utilisateurs cruciaux.

3. Je ne crois pas qu’une alternative va émerger dans les 2 à 5 prochaines années et remplacera Facebook de quelque manière que ce soit.

4. Je crois que Facebook va être régulé, et j’aimerais qu’il y ait une discussion ouverte sur ce que cela signifie et quelle forme cela pourrait prendre.

5. Je crois qu’une minorité importante des utilisateurs court des risques à cause des décisions prises par Facebook et je pense que nous devons à ceux qui sont dans cette situation de travailler sur cette question.

6. Je crois que Facebook a besoin dès que possible d’engager un dialogue public avec ses utilisateurs et ceux qui sont concernés (et la FAQ de Elliot Schrage ne compte pas).

Comme je l’ai dit dans mon dernier post, je pense que Facebook joue un rôle central dans la vie de beaucoup et je pense qu’il n’est pas sensé de dire qu’ils devraient “juste partir” si ils ne sont pas contents.

C’est comme dire aux gens qu’ils devraient juste quitter leur appartement si ils ne sont pas satisfaits de leur proprio, quitter leur femme parce qu’ils ne sont mécontents d’une décision ou quitter leur boulot si ils sont mécontents de leur boss. La vie est plus compliquée qu’une série de choix simplifiés et on fait en permanence des décisions calculées, en comparant coûts et bénéfices.

On garde nos boulots, appartements et époux(se) même si c’est le bazar parce qu’on espère rectifier le problème. Et ceux qui ont le plus à gagner de Facebook sont ceux qui sont le moins susceptible d’en partir, même s’ils sont ceux qui ont le plus à y perdre.

Ces dernières semaines, une poignée de membres bien connus de “l’élite digitale” ont fièrement annoncé qu’ils quittaient Facebook. La plupart de ces gens n’étaient pas engagés plus que ça en tant qu’utilisateurs de Facebook. Je dis ça en tant que personne ayant très peu à perdre (à part en termes de recherche) dans un départ de Facebook. Je ne suis pas une utilisatrice représentative. Je partage à peine sur le site, pour tout un tas de raisons personnelles et professionnelles (et parce qu’en fait je n’ai pas de vie). Je ne manquerais à aucun de mes amis si je quittais Facebook. En fait, ils m’en seraient probablement reconnaissants, pour la disparition de mes messages.

Ma décision de partir de Facebook n’aurait quasiment aucun impact sur le réseau. C’est vrai pour la majorité des gens qui sont partis. [NdT : on estime à environ 35 000 le nombre de personnes ayant quitté le réseau social lors du Quit Facebook Day d'hier, soit environ 0,009% des utilisateurs] Au mieux, ils sont des diffuseurs de contenus. Mais les gens ont d’autre moyens de consumer leurs contenus. Donc leur départ ne veut rien dire. Ce n’est pas ces gens que Facebook a peur de perdre.

Les gens ne vont pas quitter Facebook massivement, même si un nouveau service devait émerger. Si c’était suffisant, ils pourraient aller sur Myspace, Orkut, Friendster ou Tribe. Mais ils n’iront pas. Et pas seulement parce que ces sites ne sont plus “cools”. Ils n’iront pas parce qu’ils ont investi dans Facebook et qu’ils espèrent encore que Facebook va agir. Changer de réseau social est coûteux, comme quitter son logement ou son travail, ou partir en général. Plus la relation est profonde, plus il est difficile de s’en aller. Et la relation que Facebook a construit avec beaucoup de ses utilisateurs est très très très profonde.

Quand les coûts de transitions sont élevés, les gens travaillent dur pour changer la situation, pour qu’ils n’aient pas à faire de transition. C’est pourquoi les gens se plaignent et parlent tout haut. Et c’est vraiment important que ceux qui ont le pouvoir écoutent les inquiétudes des gens. La pire chose qu’un pouvoir peut faire, c’est d’ignorer les mécontents, d’attendre que ça passe. C’est une mauvaise idée, pas parce que les gens vont partir, mais parce qu’ils vont se tourner vers un pouvoir supérieur pour les soutenir. C’est pourquoi l’échec de Facebook à prendre en compte ce qu’il se passe appelle à la régulation.

Facebook s’est habitué aux utilisateurs mécontents. Dans “L’effet Facebook“, David Kirkpatrick souligne à quel point Facebook en est venu à attendre de chaque petite modification qu’elle suscite une rebellion interne. Il a décrit comment la plupart des membres du groupe “I AUTOMATICALLY HATE THE NEW FACEBOOK HOME PAGE” [NdT : Je déteste automatiquement la nouvelle page d'accueil de Facebook] étaient des employés de Facebook dont la frustration à l’égard du mécontentement des utilisateurs étaient résumée par la description “I HATE CHANGE AND EVERYTHING ASSOCIATED WITH IT. I WANT EVERYTHING TO REMAIN STATIC THROUGHOUT MY ENTIRE LIFE” [NdT : je déteste le changement et tout ce qui y est associé. Je veux que tout reste pareil pendant toute ma vie].

Kirkpatrick cite Zukerberg:

le plus gros défi va être de guider notre base d’utilisateurs à travers les changements qui doivent continuer...”

Malheureusement, Facebook est devenu si sourd aux plaintes des utilisateurs qu’il ne se rend plus compte de ces dernières.

Ce qui arrive autour de la vie privée n’est pas seulement une réaction violente des utilisateurs. En fait, les utilisateurs sont bien moins dérangés par ce qu’ils se passent que les élites d’Internet. Pourquoi ? Parce que même avec le New York Times écrivant article après article, la plupart des utilisateurs n’ont aucune idée de ce qu’il se trame. Je m’en rends compte à chaque fois que je suis avec des gens qui ne gravitent pas dans mon cercle Internet. Et je réalise qu’ils s’en soucient à chaque fois que je les fais aller dans leurs paramètres de confidentialité.

La rupture entre les utilisateurs moyens et l’élite rend la situation différente et le problème plus complexe. Parce que le problème tient à la transparence d’entreprise, au consentement informé et au choix. Tant que les utilisateurs pensent que leur contenu est privé et n’ont aucune idée d’à quel point il est public, ils ne descendront pas dans la rue.

Le manque de visibilité de telles question est à l’avantage de Facebook. Mais ce n’est pas à l’avantage de l’utilisateur. C’est précisément pourquoi je pense qu’il est important que la techno-élite, les blogueurs et les journalistes continuent de couvrir le sujet. Parce que c’est important que la plupart des gens soient conscients de ce qu’il se passe. Malheureusement, bien sûr, on doit aussi prendre en compte le fait que la plupart des gens qui se font avoir ne parlent pas Anglais et ne savent même pas que cette discussion a lieu. A plus forte raison quand les paramètres de confidentialités sont expliqués en Anglais.

En expliquant les attitudes de Zuckerberg vis-à-vis de la transparence, Kirkpatrick met en lumière une des faiblesses de sa philosophie : Zuckerberg ne sait pas comment traiter les conséquences négatives (et dans sa tête, inévitables) de la transparence. Comme toujours, et c’est typique dans l’écosystème web américain, la plupart des discussions à propos de la surveillance se concentrent sur la gouvernance.

Mais Kirkpatrick souligne une autre conséquence de la surveillance avec un exemple qui me fait froid dans le dos: “quand un père en Arabie Saoudite a surpris sa fille en train d’échanger avec des hommes sur Facebook, il l’a tué.

C’est précisément le type de conséquences inattendues qui me poussent à m’exprimer à haute voix même si je suis assez privilégiée pour ne pas encourir de tels risques. Statistiquement, la mort est une conséquence peu probable de la surveillance.

Mais il y a beaucoup d’autres d’effets collatéraux qui sont plus fréquents et aussi dérangeant: perdre son travail, son assurance santé, ses droits parentaux, ses relations…etc. Parfois, ces pertes surviennent parce que la visibilité rendent les gens plus responsables. Mais parfois cela arrive à cause d’une mauvaise interprétation et/ou d’une réaction excessive. Et les exemples continuent d’affluer.

Je suis complètement en faveur des gens qui construisent ce qu’ils concoivent comme des alternatives à Facebook. J’ai même investi dans Diaspora [NdT : projet de réseau social alternatif, libre et décentralisé que les internautes peuvent financer, dans lequel Zuckerberg aurait également investi] parce que je suis curieuse de voir ce qui va sortir de ce système. Mais je ne crois pas que Diaspora va tuer Facebook. Je crois qu’il y a la possibilité pour Diaspora de faire quelque chose d’intéressant, de jouer un rôle différent dans l’écosystème et j’attends avec impatience de voir ce qu’ils développent. Je suis également curieuse de voir le futur des systèmes basés sur le peer-to-peer vis-à-vis du le cloud-computing même si je ne suis pas convaincue que cette décentralisation soit la solution à tous les problèmes.

Je ne pense pas que la plupart des utilisateurs tout autour de la planète vont trouver une solution décentralisée qui vaille le désagrément d’un départ de Facebook. L’analyse coûts/bénéfices ne joue pas en leur faveur. Je m’inquiète également que des systèmes comme Diaspora puissent être rapidement utilisés pour la pédophilie ou d’autres usages problématiques, qui tendent à émerger quand il n’y a pas de système de contrôle centralisé. Mais l’innovation est importante et je suis excitée qu’un groupe de passionnés aient la chance de voir où est-ce qu’ils peuvent aller. Et peut-être que ce sera plus fabuleux que tout ce qu’on peut imaginer, mais je parie beaucoup d’argent que ça n’égratignera même pas Facebook. Les alternatives ne sont pas la question.

Facebook s’est intégré profondément dans l’écosystème, dans le coeur et l’esprit de beaucoup de gens. Ils adorent la technologie, mais ils ne sont pas nécessairement préparés pour là où l’entreprise les emmène. Et alors que je suis complètement pour que les utilisateurs aient les opportunités et le potentiel d’être très visibles, de faire partie d’une société transparente, je ne suis pas d’accord pour les jeter du bateau juste pour voir si ils savent nager. Fondamentalement, mon désaccord avec l’approche de Facebook de ces questions est philosophique. Est-ce que je veux susciter plus d’empathie, plus de tolérance dans une ère globalisée ? Bien sûr. Mais je ne suis pas convaincue qu’une soudaine exposition au monde entier ait cet effet sur les gens, et j’ai honnêtement peur du possible retour de bâton qui pourrait en découler. J’ai peur que cela suscite une forme d’extrémisme qui se manifeste dans le monde aujourd’hui.

Crier à la fin de Facebook ne sert à rien. Et je pense que les gens gaspillent beaucoup d’argent à dire aux autres de partir ou de boycotter le site. Agir de la sorte ne sert à rien. Cela donne juste l’impression que nous autres technophiles vivons sur une autre planète. Ce qui est le cas.

A la place, je pense que nous devrions tous travailler pour aider les gens à comprendre ce qui se passe. J’adore utiliser Reclaim Privacy pour vadrouiller dans les paramètres de confidentialité avec les gens. Pendant que vous aidez votre famille et vos amis à comprendre leur réglages, parlez avec eux et enregistrez leurs histoires. Je veux entendre celles des utilisateurs moyens, leurs peurs, leurs passions. Je veux entendre ce que la vie privée veut dire pour eux et pourquoi ils s’en soucient. Je veux entendre les bon et le mauvais côté de la visibilté et les problèmes induits par l’exposition publique. Et je veux que les gens de Facebook écoutent. Pas parce que c’est une nouvelle rebellion d’utilisateurs, mais parce que les décisions de Facebook affectent un très grand nombre de gens. Et nous nous devons de faire entendre ces voix.

Je veux aussi que les élites du web réfléchissent profondément au rôle que la régulation pourrait jouer et quelles pourraient en être les conséquences pour nous tous. En pensant à la régulation, il faut toujours garder à l’esprit les arguments de Larry Lessig dans “Code“.

Larry défendait l’idée qu’il y a quatre niveaux de régulation du changement: le marché, la loi, les normes sociales et l’architecture (ici le code). L’argument de Facebook est que les normes sociales ont changé tellement radicalement que tout ce qu’ils font avec le code, c’est de s’aligner avec la position des gens (et de manière pratique, avec le marché). Je leur objecterais qu’il se méprennent sur les normes sociales, mais il n’y a pas de doute que le marché et le code vont dans leur sens. C’est précisément pourquoi je pense que la loi va avoir un rôle à jouer et que les régulateurs légaux ne partagent pas l’at

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“Quatorze ans plus tard presque jour pour jour, et ils n’ont rien appris” http://owni.fr/2010/03/11/quatorze-ans-plus-tard-presque-jour-pour-jour-et-ils-nont-rien-appris%c2%bb/ http://owni.fr/2010/03/11/quatorze-ans-plus-tard-presque-jour-pour-jour-et-ils-nont-rien-appris%c2%bb/#comments Thu, 11 Mar 2010 14:43:57 +0000 Astrid Girardeau http://owni.fr/?p=22787

Filtrage : on prend quasiment le même, et on recommence.

[Billet initialement publié le 23 juillet 2010] En février dernier, l’Assemblée nationale a adopté la Loppsi, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. L’article 4 du texte vise à «prévenir l’accès involontaire des internautes aux sites pédo-pornographiques» en obligeant les fournisseurs d’accès Internet (FAI) à bloquer une liste noire de sites signalés par une autorité indépendante.

«La pédophilie, une autorité administrative, une liste de sites à filtrer, et pas de juge. Cela a été jugé anticonstitutionnel en 1996. Quatorze ans plus tard presque jour pour jour, et ils n’ont rien appris» nous indique Laurent Chemla, co-fondateur de Gandi et de l’Association des Utilisateurs d’Internet (AUI).

Retour en 1996

Fraîchement créé, le web pénètre dans les foyers français. C’est l’ère du modem 14.4 kbit/s. Le web, et Internet avant, en intéressent quelques-uns, et en inquiètent beaucoup. Le discours médiatique dominant – qui perdurera pendant des années – est alors : Internet est un dangereux repaire de néo-nazis, de pédophiles et de pirates. Le gouvernement n’est pas en reste. Rapidement, il sera question de le «contrôler», le «réguler», le «co-réguler», et l’”auto-réguler». L’une des solutions ? Surveiller et filtrer. Cacher les objets de délit, les contenus illégaux, des yeux des internautes français et faire peser la responsabilité sur les intermédiaires techniques.

La première tentative de législation est «l’amendement Fillon» de juin 1996.

Le projet de loi sur la réglementation des télécommunications, déclaré en procédure d’urgence, est en discussion au Sénat. François Fillon, alors ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l’Espace, dépose un amendement donnant le pouvoir à une autorité administrative d’ordonner le filtrage des réseaux aux prestataires techniques (fournisseurs d’accès et de contenus). La jeune AUI monte au front. Elle parle de texte “précipité, inutile, injustifié, techniquement inapplicable, et dangereux pour la démocratie et la liberté d’expression” et demande son retrait immédiat. L’amendement est adopté dans la nuit du 6 juin 1996. Pour être censuré par la Conseil Constitutionnel un mois plus tard.

Remise en contexte : affaires Usenet et UEFJ

L’amendement a été introduit suite à deux épisodes judiciaires : l’affaire Usenet et l’affaire UEJF. Fortement médiatisées, toutes deux lancent la polémique sur la responsabilité et le rôle des prestataires techniques.

Le 5 mars 1996, l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) assigne en référé neuf intermédiaires techniques (Oléane, Compuserve, Imaginet, etc.) au motif qu’ils permettent à leurs clients d’accéder à des contenus négationnistes. L’UEJF demande : «qu’il leur soit ordonné, sous astreinte, d’empêcher toute connexion (…) à tout service ou message diffusé sur le réseau Internet quelle qu’en soit la provenance, méconnaissant ostensiblement pas sa présentation, son objet ou son contenu, les dispositions de l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1991». Dite loi Gayssot. Au passage, une autorité (Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale) est chargée de fixer ces filtrages. Pour l’anecdote, la liste de FAI a été piochée par l’avocat de l’UEJF dans un “Que sais-je”. Le 12 juin, le TGI de Paris rejette la demande (pdf). «L’issue [de l’instance] ne saurait être marquée par l’institution d’un système global de prohibition et de censure préalable» indique l’ordonnance.

Deux mois plus tard, le 6 mai 1996, Sébastien Socchard, gérant de World-NET, et Rafi Haladjian, PDG de FranceNet sont arrêtés et mis en examen sur ordre du Ministère public pour «diffusion d’images à caractère pédophile». Ces images ont été postées sur Usenet, un réseau international décentralisé de forums de discussion, partagé par les FAI comme par les universités. Sur la base de l’article 227-23 du Code pénal, il est reproché aux deux FAI, d’avoir permis, via leurs serveurs, l’accès à ces contenus. Les médias associent alors le nom des deux dirigeants à une affaire de pédophilie sur Internet. L’instruction aboutira trois ans plus tard à un non-lieu.

De l’exemption de responsabilité au filtrage

“Actuellement, notre pays est désarmé lorsque des documents contraires à la loi française sont diffusés sur Internet. Je pense en particulier aux thèses révisionnistes et aux réseaux pédophiles, explique François Fillon. Deux chefs d’entreprise ont été mis en examen il y a peu de temps, au motif que des documents condamnables transitaient par la porte d’accès qu’ils offrent à Internet, ce qui est un contresens, puisqu’ils n’étaient pas responsables des thèses diffusées.» Avant de présenter son amendement comme un moyen d’exempter la responsabilité pénale des intermédiaires techniques.

Mais il est associé à une autre volonté. «En bon politique, il ne pouvait pas se contenter de déresponsabiliser les intermédiaires techniques mais devait également faire en sorte que de telles images ne puissent plus être diffusées sur les réseaux» raconte Laurent Chemla dans Confessions d’un voleur.

Ainsi en échange d’une non-responsabilité pénale, les fournisseurs doivent suivre les « recommandations » d’un organisme administratif, le Comité supérieur de la télématique (CST). Placé sous l’autorité du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), ce dernier doit, selon les mots de Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques, être «compétent pour contrôler le contenu des services proposés sur les réseaux». Il ne s’agira pas «d’une censure brutale» ne manquait-il pas de préciser. Le Comité était «chargé d’établir ce que les citoyens pouvaient dire ou faire sur l’Internet et disposait du pouvoir de censure sur tout contenu qui lui aurait semblé illégal» résume de son côté Laurent Chemla.

Image CC Geoffrey Dorne

Que dit l’amendement Fillon ?

L’amendement n°200, vient modifier la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, en y introduisant trois nouveaux articles : 43-1, 43-2 et 43-3.

L’article 43-1 oblige les fournisseurs d’accès et de contenus à “proposer à ses clients un moyen technique leur permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner”. François Fillon explique qu’il s’agit d’offrir «des outils de responsabilité individuelle, (…) des logiciels permettant de bloquer l’accès à certains services. Ceci permettra un contrôle par les parents des mineurs“. Curieux glissement de la question de l’accès aux «thèses révisionnistes et réseaux pédophiles » au logiciel de contrôle parental. Cet article implique donc une obligation de moyens.

Par l’article 43-2 charge le CST «d’élaborer des recommandations propres à assurer le respect» par les intermédiaires techniques «des règles déontologiques adaptées à la nature des services proposés». Au sein du Comité, une instance émet «un avis sur le respect des recommandations» par un service. Si l’avis est négatif, il est publié au Journal Officiel. Et les fournisseurs ont obligation de le bloquer. À noter que, la composition et les modalités de fonctionnement sont définis par décret et que son président est désigné par le CSA parmi des «personnalités qualifiées» nommés par le ministère des Télécommunications .

Le CST allait ainsi devenir l’organe directeur de l’Internet français, une sorte de Léviathan, gouverneur de l’espace virtuel, conférant aux FAI la responsabilité d’exécuter ses décisionsécrit Lionel Toumhyre, directeur de Juriscom.

Enfin par l’article 43-3, les prestataires «ne sont pas pénalement responsables des infractions résultant du contenu des messages diffusés» à la condition de respecter les deux articles précédents : proposer des logiciels de filtrage et bloquer l’accès aux contenus désignés par le CST. «Alors que l’article 43-3 semblait instaurer une responsabilité d’exception pour les FAI, il s’agissait en fait d’une véritable présomption de responsabilité, les prestataires étant tenus de respecter à la lettre les avis du Comité supérieur de la télématique pour bénéficier d’une éventuelle exonération» analyse Lionel Toumhyre.

Une loi «injustifiée juridiquement et techniquement »

«Internet véhicule de très nombreuses informations, dont certaines ne sont effectivement pas conformes à notre législation » avance le sénateur communiste Claude Billard lors de l’examen du texte en séance. Avant d’expliquer que l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme – qui garantit à tout citoyen la liberté d’expression dans les limites déterminées par la loi – «pourrait et devrait, à lui seul, fournir un cadre juridique permettant de poursuivre les auteurs d’abus commis sur Internet.»

Il poursuit : «Aujourd’hui, la prostitution enfantine, la pédophilie, le racisme et le révisionnisme doivent être combattus avec détermination, et l’arsenal juridique existe. Mais, demain, les discussions politiques, celles qui portent sur le thème de la grève, ne risquent-elles pas de faire l’objet d’un traitement semblable ? On connaît les possibilités de dérapages qui pourraient découler de l’existence d’un tel comité.»

Mêmes craintes du côté de l’Association des Utilisateurs de l’Internet qui, en quelques jours, monte un mouvement d’opposition au projet. Dans un communiqué daté du 11 juin 1996, l’association demande le retrait de l’amendement, au nom du même article 11. Elle estime que l’institution du CST «étant inutile ainsi qu’injustifiée juridiquement et techniquement, ne peut servir qu’à satisfaire des enjeux n’ayant rien à voir avec la démocratie et la citoyenneté»
.

«Ce que je lis sur l’amendement “Fillon” est tout simplement délirant ! »

Devant les attaques, François Fillon reçoit l’AUI et vient discuter sur les forums. «Ce que je lis sur l’amendement “Fillon” est tout simplement délirant !, écrit-il. Le seul objectif de cet amendement est de protéger les “access providers”.» Il rappelle que leur responsabilité sera «dégagée» s’ils «suivent les recommandations déontologiques» du CST, et d’insister : «J’ai bien dit “recommandations” et non pas décisions».

«Certes, mais lorsque ces recommandations, si elles ne sont pas respectées, impliquent la responsabilité du fournisseur, alors il n’est plus question de ’simple recommandation’ mais bel et bien de décision, même si ce mot n’est pas employé, lui répond Laurent Chemla. En plus simple, ça donne ‘On ne vous impose rien, mais si vous ne suivez pas nos recommandations, vous êtes en position d’être poursuivi.’”

Selon l’AUI, le troisième article établit une «obligation de résultats» de la part des fournisseurs, aux «conséquences pénales». Or juge t-elle, une telle obligation est impossible. Elle démontre (déjà) en quoi le filtrage est «techniquement inapplicable» car inefficaces (facilement contournables), dangereuses pour le réseau (ralentissement) et pour la liberté d’expression (blocage de sites légaux).

Treize en plus tard, on retrouve exactement les mêmes éléments : «obligations de résultats» dans la Loppsi (avec 75.00 euros d’amende et un an d’emprisonnement) d’une part, et démonstrations que le filtrage est inefficace, dangereux et coûteux (pdf) de l’autre.

«Personne ne disait rien»

À peine créée, l’AUI s’est retrouvée confrontée à ce texte de loi «qui prétendait créer un «Conseil supérieur de l’Internet» chargé, déjà, de dicter aux intermédiaires les filtres à appliquer, les sites à censurer, les contenus à effacer, raconte Laurent Chemla. Et personne ne disait rien.

Nous étions moins d’une dizaine et pour la plupart n’avions jamais eu la moindre activité politique. Et pourtant, nous avons pu empêcher le gouvernement de faire passer une loi à nos yeux inutile et dangereuse, poursuit-il. Un intense travail de lobbying téléphonique, mené avec l’aide d’autres activistes débutants, a permis de convaincre soixante députés du Parti socialiste de déposer un recours devant le Conseil constitutionnel.»

Le 24 juin, un recours est déposé devant le Conseil Constitutionnel.

Les auteurs de la saisine soutiennent que les articles 43-1 à 43-3 sont «entachés de plusieurs vices d’inconstitutionnalité». Selon eux, le CST se trouve doté de pouvoirs propres en méconnaissance de l’article 34 de la Constitution (les droits civiques et les garanties fondamentales sont fixées par la loi) et des articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme. Et la mise en place de règles déontologiques par une autorité indépendante dote celle-ci de pouvoirs d’interprétation de la loi pénale et «porte atteinte à la compétence du législateur qui seul peut fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques». De plus, ils estiment que la définition d’une déontologie servant de base à l’adoption d’avis propres à déclencher des poursuites pénales s’apparente «à l’édiction déguisée d’une procédure d’autorisation préalable».

Le 23 juillet, les Sages déclarent les articles 43-2 et 43-3 contraires à la Constitution. Se fondant sur l’article 34 de la Constitution, ils reconnaissent que seul l’État a le pouvoir d’assurer et de déterminer les modalités d’exercice des libertés publiques, notamment la liberté d’expression. Et ce pouvoir ne peut pas être délégué à une autorité indépendante comme le CST.

De l’amendement Fillon à la Loppsi

Le 10 juin 2009, le Conseil Constitutionnel se basera sur ces mêmes principes (article 34 de la Constitution et article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme) pour censurer une partie de la Loi Création et Internet. Notamment les pouvoirs donnés à l’autorité administrative indépendante créé par la loi : l’Hadopi.

Et pourtant.

Quatorze ans après «l’ amendement Fillon » et la censure du Conseil Constitutionnel, on retrouve les mêmes ingrédients dans la Loppsi.

Dans le projet de loi initial, le blocage de sites est décidé par la seule autorité administrative. En janvier dernier, lors de l’examen du texte en commission des lois à l’Assemblée nationale, le député UMP Lionel Tardy fait adopter, à l’unanimité, contre l’avis du rapporteur Eric Ciotti, la nécessité d’avoir recours à une décision judiciaire préalable. Le 11 février, l’amendement reçoit l’aval de l’Assemblée nationale. Le texte doit alors être examiné au Sénat. Retour à la case départ. Le 2 juin, en Commission des Lois, le sénateur et rapporteur UMP Jean-Patrick Courtois fait voter un amendement visant à supprimer «après accord de l’autorité judiciaire». Ce dernier explique que la censure appliquée à Hadopi ne vaut pas ici car la disposition proposée ne «tend pas à interdire l’accès à Internet, mais à empêcher l’accès à un site déterminé en raison de son caractère illicite». Ce que faisait l’amendement Fillon, et il a été censuré.

La Loppsi sera débattue au Sénat à la rentrée.

N’oubliez pas de télécharger l’affiche de une format poster réalisée par Geoffrey Dorne /-)

Crédit CC Flickr Horia Varlan et bunchofpants

Crédit Image : CC Geoffrey Dorne

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