OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Une tempête techno-magique ! http://owni.fr/2012/12/07/une-tempete-techno-magique/ http://owni.fr/2012/12/07/une-tempete-techno-magique/#comments Fri, 07 Dec 2012 10:11:17 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=127124

Bonjour et bienvenue dans l’antre magique de… “Vendredi c’est Graphism” !

Comme tous les vendredis, je pars à la découverte de la créativité et du design et cette semaine c’est sur la magie que je me suis arrêté ! Plus les technologies évoluent, moins nous comprenons en détail comment elles fonctionnent. Nous nous laissons donc parfois bercer par leur animisme, leur côté vivant, leur magie.

Magicien OpenSource

C’est sur ce postulat que le magicien Marco Tempest a décidé de nous faire rêver avec ses illusions. Depuis toujours, l’art de l’illusion fascine et les grands magiciens ont bien compris les ressorts de notre cerveau pour pouvoir le manipuler. Mais la magie évolue et innove grâce à Marco Tempest, cet illusionniste suisse vivant à New York. En dehors de faire des tours qui ne cessent de nous impressionner, il considère son travail comme de la “magie open source” car, sur Youtube, sur son Twitter et sur son Facebook, il révèle ses secrets aux grands public et aux communautés en ligne avant de passer à de nouveaux tours. Une sorte de politique créative de la terre brûlée !

Commençons par sa toute dernière création qui est passionnante. Marco nous raconte une histoire visuellement saisissante à propos de Nikola Tesla, qui est, n’ayons pas peur des mots, le plus grand geek qui ait jamais vécu. De son invention triomphante qu’est le courant alternatif  à ses derniers jours tristes et sans le sous, voici sa vie présentée du point de vue d’un magicien…

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Les coulisses

De même, il n’oublie pas de publier sur les coulisses et les trucs de cette histoire.

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De la réalité augmentée magique

Certes, Marco Tempest adore les dernières innovations, les dernières applications, les écrans connectés mais n’oublions pas que tous les grands magiciens ont toujours été des amoureux de la technologie. Ainsi, ses expérimentations se jouent du réel et du virtuel à commencer par ce tour qu’il a réalisé pendant TED et où il manipule des cartes en réalité augmentée.

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Magicien social

Sur Twitter et Facebook, Marco Tempest discute et réagit beaucoup, il crée aussi énormément grâce aux idées des internautes et en profite pour les créditer au passage. De même, il partage le “code” de ses illusions et ses tours, que ce soit des applications pour iPhone, iPad ou même d’autres outils techno-centrés. Déjà à l’époque, lors de la sortie de l’iPhone, il paradait avec ses applications magiques et captivantes.

À la sortie d’un Apple Store, il y a cinq ans :

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Imaginaire, technologie & narration

Cette combinaison entre imaginaire et nouvelles technologies, Marco Tempest est le seul à la pratiquer de façon vraiment intensive. À 22 ans, le magicien suisse remportait déjà le New York World Cup of Magic, puis enchaînait quelques années plus tard sur une série télévisée intitulée “The virtual Magician”. Série qui sera diffusée dans des dizaines de pays à travers le monde. Cependant, il n’en oublie pas la poésie, la simplicité et la magie des écrans comme par exemple avec ce tour réalisé à l’aide d’ iPod Touch

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Une tendance qui va évoluer ?

Même si à l’heure actuelle l’outil et la technologie sont énormément mis en avant, je pense qu’à l’avenir nous allons obtenir des réalisations beaucoup plus simples où la technologie perdra sa place centrale au profit de l’histoire et du tour de magie en lui-même. Un exemple avec cette vitrine d’une boutique Hermès au Japon. Un simple écran, un carré de soie vendue par la marque et… regardez comme la magie opère.

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Histoire & techno-invisible

La technologie discrète, invisible au profit de l’histoire. Voici une démarche de magicien qui plaira sans doute aux designers… ou alors est-ce que ce sera l’inverse ? ;-)

En attendant, vous pouvez retrouver tous les tours de Marco Tempest sur son site, mais aussi découvrir ses petits camarades techno-magiciens comme Simon Pierro, Charlie Caper et Erik Rosale,  Galih Montana ou encore le projet Card2Phone !

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Du F.A.T. dans tes yeux http://owni.fr/2012/10/26/du-f-a-t-dans-tes-yeux/ http://owni.fr/2012/10/26/du-f-a-t-dans-tes-yeux/#comments Fri, 26 Oct 2012 08:00:04 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=124193

Cette semaine, nous fêtons l’anniversaire du F.A.T., le Free Art & Technology lab. Ce laboratoire, connu aussi sous le nom de F.A.T. est un collectif d’artistes, de designers, de développeurs, de scientifiques, d’avocats et de musiciens, qui est dédié à la fusion de la culture populaire avec la technologie open source. Le F.A.T. Lab est connu pour produire des œuvres d’art critiques, piquantes, pertinentes et qui questionnent souvent le droit de la propriété intellectuelle, dans le domaine des nouveaux médias et de la technologie. C’est pourquoi, le F.A.T. lab a toujours créé des œuvres destinées à être “élevées” au domaine public et contribuer ainsi à leur propre mouvement.

Aux origines

Pour la petite histoire, le F.A.T. Lab a été fondé en 2007 par Evan Roth et James Powderly, deux personnages également connus pour leur laboratoire de recherche en graffiti (le G.R.L. Graffiti Research Lab). Une grande partie des membres du F.A.T. sont basés en Amérique du Nord mais également en Europe centrale et en Asie. C’est donc un collectif international dont le socle commun est Internet. Ses membres coopèrent sur des projets d’art numérique depuis maintenant cinq ans.

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Une exposition rétrospective a été imaginée pour l’occasion, avec pour simple titre “F.A.T. GOLD“, cette exposition rassemble vingt-cinq créateurs composés de graffeurs, de hackers et de codeurs pour un séjour d’une semaine au “Eyebeam“, un centre d’art technologique de New York. L’exposition présentera les œuvres importantes de 2007 à nos jours mais lancera également de nouveaux projets lors de la soirée d’ouverture. Les projets seront ajoutés à l’exposition au fur et à mesure.

Flash back dans le F.A.T. !

Comme le F.A.T. lab s’engage depuis maintenant cinq ans afin de soutenir les valeurs de l’ouverture et le domaine public, de nombreux projets ont vu le jour. Des projets mais également des idéaux qui puisent leur force dans la culture populaire. Je vous propose donc un petit aperçu de l’histoire de leurs meilleurs projets.

Le EyeWriter

En 2003 le graffeur Tempt1 a été presque complètement paralysé à cause de la maladie de Lou Gehrig. Pour aider leur ami à continuer à pratiquer son art, le F.A.T. Lab, openFrameworks, le Graffiti Research Lab et le Groupe Ebeling se sont associés pour créer l’EyeWriter, un outil qui met en place des caméras et des logiciels open source pour suivre les mouvements des yeux de l’utilisateur et permettre de les dessiner grâce aux mouvements des pupilles.

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SubPixel

“SubPixel” est un un kit de “mise à niveau” de la publicité dans le métro (ou ailleurs). Ce petit objet est construit à partir d’une réglette en acrylique découpée au laser, des bandes de plastique et de neuf lames de rasoir. Ainsi, une fois le tout assemblé, vous allez pouvoir, en deux grands coups rapides (un horizontal et un vertical), créer un damier, une grille. À partir de cette grille de 8×8 « pixels », il ne vous reste plus qu’à retirer ou non des cases et créer vos icônes au pixel ou modifier le sens de l’affiche. Voilà en quelques images le résultat :

cute SUBPIXEL   ou comment pixeliser la publicité dans le métro !

Les Lego open-source

En 2012, c’est une petite révolution qui s’est faite dans le monde du Lego grâce au kit de construction universel et gratuit possédant 80 objets 3D à imprimer sur une imprimante 3D. Vous pouviez donc utiliser votre imagination et ainsi connecter toutes ces petites briques à vos “vrais” Legos pour aller encore plus loin dans la création ! D’ailleurs, cette collection de 80 objets peut toujours être “dépassée”, car chacun peut proposer ses modèles, mettre à profit son savoir pour concevoir de nouvelles pièces et ainsi créer un véritable “réseau de jouets“.

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Le poster

FAT Rêve denfant : Comment fabriquer ses propres Legos ?

Free Speech !

“Free Speech” est une oeuvre créée pour le Musée Kunsthalle à Vienne. Un seul but : la liberté d’expression !

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Peer to Peer du chien

Si vous passez du temps à échanger des fichiers et si vous aimez les animaux, ce projet vous ravira ! En effet, avec une simple clef USB et un chien, ce réseau “peer to peer” vous permettra d’échanger, de partager, en toute simplicité !

Et dans dix ans ?

Le F.A.T. lab n’est pas le seul mouvement hacktiviste créatif, même s’il est unique dans sa pensée et son mélange “pop culture” / “hacking”. Cependant, d’autres types de pensées émergent et proposent des actions créatives engagées :

Je suis impatient de voir se répandre ce et ces courant(s), ces pensées et ces actions ! En attendant, je vous invite à vous rendre le site du F.A.T. lab et vous souhaite… un excellent week-end ! :-)

Geoffrey

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Est-ce que la technologie désurbanise la ville ? http://owni.fr/2011/07/21/est-ce-que-la-technologie-desurbanise-la-ville/ http://owni.fr/2011/07/21/est-ce-que-la-technologie-desurbanise-la-ville/#comments Thu, 21 Jul 2011 06:33:21 +0000 Hubert Guillaud http://owni.fr/?p=74142 Pour la sociologue et économiste américaine Saskia Sassen (Wikipédia), qui introduisait la 3e édition de la conférence Lift France qui se tenait la semaine dernière à Marseille, la ville est devenue un espace stratégique pour tout type d’applications technologiques, mais dans quelles mesures ces capacités technologiques déployées dans l’espace urbain urbanisent-elles véritablement la ville ? “A l’heure où tout le monde se demande comment utiliser la ville, diffuser ses services dans l’espace urbain, la question de savoir si les technologies urbanisent ou pas la ville me semble d’importance.”

La ville doit pouvoir être hackée

La technologie donne des capacités technologiques qui vont au-delà de la technologie elle-même. Quand la haute finance utilise les technologies, elle ne le fait pas de la même manière que la société civile. Ses points de départ, ses objectifs sont différents, même si elle utilise les mêmes outils techniques que d’autres utilisateurs : la technologie fonctionne donc dans une écologie plus vaste qui ne la réduit pas.

La ville est un espace complexe, anarchique, rappelle la spécialiste du sujet. Mais l’usage de la technologie dans l’infrastructure permet le fonctionnement de l’infrastructure, pas nécessairement de la ville. “La question est donc de regarder comment nous urbanisons la technologie, comment nous adaptons ou essayons d’adapter la technologie à la ville ?”

Saskia Sassen sur la scène de Lift France 2011.

“Il faut d’abord voir que la ville n’est pas une somme de matérialités, mais qu’on y trouve aussi des personnes, des cultures, des sous-cultures. C’est d’ailleurs ce qui permet le plus souvent à la ville de s’adapter, de réagir et de continuer à exister comme l’ont fait Rome, Marseille ou Istanbul. Chacune réagit différemment.”

Il nous faut comprendre autrement “l’urbanitude”. Qu’est-ce qu’une plateforme pétrolière qu’on urbanise ? Qu’est-ce qu’une ville avec des espaces urbains morts ? Une ville est-elle seulement des gratte-ciels qu’on ajoute à l’espace urbain ? “Nos villes sont bizarres, elles sont des mélanges vivants. Elles vivent et continuent à vivre, car elles continuent de répondre aux actions que nous avons sur elles”, explique Saskia Sassen.

Peut-on entrer dans l’espace urbain avec une autre écologie d’éléments ? Peut-on faire de l’urbanisme open source ? Comment peut-on penser la ville en la hackant ? La ville peut-elle être un hacker ? Que se passe-t-il quand les villes ressentent les choses ? Quand elles deviennent trop intelligentes, trop sensibles ? Quand le banc peut éjecter la personne qui veut dormir dessus, quand la poubelle vous recrache le détritus que vous venez d’y mettre parce que vous ne l’avez pas mis dans la bonne poubelle, comme le proposaient les artistes JooYoun Paek et David Jimison [en], à l’exposition Toward the Sentient City [en] (Vers la ville sensible) qui avait lieu en 2009 à New York ? Comment la ville peut-elle répondre ?

Dans les années 80, le parc de Riverside à New York était réputé dangereux, raconte Saskia Sassen. Tant et si bien que les gens qui s’y promenaient ont commencé à venir avec des chiens. En promenant leurs chiens, peu à peu, ils se sont réapproprié ce territoire et le retour des chiens a participé au départ des délinquants. Le parc est aujourd’hui un magnifique endroit avec une population plutôt favorisée vivant autour. “Nos pratiques sont des espèces de logiciels qu’on peut connecter à d’autres pratiques et logiciels.”

“Quand on parle de villes intelligentes (Smart Cities), le problème est que bien souvent on évoque des systèmes techniques qui désurbanisent la ville”, explique la sociologue en évoquant plutôt le quartier d’affaire de Sondgo à proximité de Séoul ou la ville de Masdar à Abu Dhabi, comme elle l’expliquait il y a quelques mois dans un passionnant article pour McKinsey Digital [en].

Les technologies embarquées s’adaptent aux pratiques de chacun dans un bâtiment, mais cela désurbanise l’espace plus large de la ville. Et ce d’autant que, bien souvent, ces systèmes intelligents sont fermés pour être maitrisés alors qu’on les incorpore dans le système ouvert, incomplet, non terminé qu’est la ville. Ce sont des systèmes fabriqués avec la logique de l’ingénieur et l’ingénieur n’est qu’un des utilisateurs de la ville. Comment la logique d’autres utilisateurs interagit-elle avec cette logique ? Quelle place reste-t-il pour la contourner, la hacker ?

Les villes intelligentes mettent en œuvre dans un système fermé la logique de l’ingénieur, avec des possibilités et potentiels limités. Elles ne rendent pas visibles les technos qui les constituent. “Or, pour être interactives, pour s’intégrer dans des écologies multiples, elles devraient plutôt être visibles, accessibles à qui les regarde ou les utilise”. La ville intelligente repose sur une trop forte obsolescence technologique qui risque de la rendre rapidement incapable de s’adapter, de réagir… Et de transformer les systèmes techniques en systèmes critiques.

Pour Saskia Sassen, nous devons travailler “à urbaniser les technologies plutôt que d’utiliser des technologies qui désurbanisent la ville”. Les technologies déployées dans la ville doivent être adaptables… La ville doit pouvoir être hackée ! Sinon, nous risquons de tuer leurs capacités d’adaptation qui ont fait leur force à travers les siècles.

Les dérives des villes intelligentes

L’écrivain et designer Américain Adam Greenfield (Wikipédia [en] – sur InternetActu), auteur de Everyware et depuis 2010 à la tête de l’agence Urbanscale [en] s’est penché sur la question des responsabilités civiles dans la ville en réseau.

Lorsqu’on utilise ces termes de “villes en réseau” on imagine en général quelque chose d’assez futuriste, explique le designer. Dans les brochures IBM ou Cisco, on en parle comme d’une idée qui n’est pas encore complètement réalisée. Pourtant, la ville en réseau est déjà là (d’ailleurs, explique Greenfield, l’usage de l’expression est largement influencé par un sociologue marxiste français, Henri Lefebvre – Wikipédia -, mort avant l’avènement de l’internet) : elle est un lieu sujet à des changements rapides et importants, où les négociations sont constantes. C’est la ville dans laquelle la population est impliquée, notamment via ces ordinateurs très sophistiqués que nous avons de plus en plus dans nos poches…

Adam Greenfield sur la scène de Lift au théâtre du Pharo à Marseille.

Dans la ville d’aujourd’hui, nous sommes entourés d’objets et d’espaces qui ont leurs propres identités informationnelles. Les espaces urbains se caractérisent de plus en plus souvent par des objets capables d’agir, comme le Tower Bridge de Londres développé par Tom Armitage [en], capable d’avertir les gens via Twitter [en] quand il se soulève par exemple… Mais du coup, nous sommes en train de voir apparaître de nouveaux modes de surveillance, non plus seulement par des caméras et microphones, mais aussi de manière plus subtile. Aujourd’hui des dizaines de millions de personnes sont confrontées à ces technologies et nous devons apprendre à évaluer les risques.
Pour permettre de mieux comprendre les problèmes qui peuvent apparaître, Adam Greenfield a dressé une taxonomie des effets, du plus inoffensif au plus dangereux.

Le premier exemple est un capteur créé en Finlande [en]. Ce pays est plongé dans la nuit pendant une majeure partie de l’année, et les voitures présentent donc un grand danger pour les piétons, surtout les enfants ou les personnes âgées. Ce capteur placé sur la chaussée détecte les piétons et avertit le véhicule. C’est un système qui sauve des vies et rencontre l’assentiment de la population. Pourtant, il capte des données publiques à l’insu des citadins, même si celles-ci ne sont pas archivées.

publicité Corée NikonPlus gênant est ce panneau publicitaire coréen [en]. Il représente des photographes, et un tapis rouge est placé devant l’affiche. Lorsqu’un passant marche sur le tapis rouge, les “photographes” prennent une photo et illuminent le badaud d’une série de flashs. L’idée est de donner aux gens l’impression d’être des stars. Mais les personnes ne sont pas enchantées par le flash : elles sont plutôt surprises. Le dispositif n’est pas dangereux ni inquiétant, mais il est caractérisé par un certain manque de respect, un côté nuisible. On monte donc d’un degré dans la taxonomie des effets pernicieux.

Beaucoup plus problématique est cette machine japonaise [en] qui va tenter d’analyser votre visage pour déterminer votre âge et votre sexe et vous propose des boissons censées correspondre à vos goûts. “Une telle application, explique Adam Greenfield, a tendance à effectuer des discriminations, à placer des gens dans des cases, dans des catégories. Cela va dans le sens inverse de ce qu’on attend d’une ville, qui est d’augmenter la diversité.”

Plus élevé encore dans la taxonomie des effets dangereux, ce panneau d’affichage créé selon Greenfield par une société française, qui va repérer votre âge, votre sexe et votre groupe ethnique et essayer de vous attirer en affichant une image en fonction de votre profil. Une telle technologie, a dit Greenfield, est si nuisible qu’il souhaite demander au maire de New York de la réguler de manière urgente, afin de limiter son explosion sur les supports d’affichages, comme l’évoquait le New York Times il y a déjà quelques années [en].

Tous les exemples précédents, du moins dangereux au plus inquiétant, sont au moins faciles à analyser. Mais comment évaluer les problèmes posés non plus par un objet ou système, mais par l’interaction entre plusieurs dispositifs au sein de l’espace public ?

Par exemple, à Wellington, en Nouvelle-Zélande, on a installé un dispositif de vidéosurveillance pour contrôler les accidents de voiture. Consultée, la population a approuvé cette technologie globalement positive. Puis, bien plus tard, lors de la mise à jour du logiciel, les concepteurs ont introduit un système de reconnaissance faciale, qui a pu être utilisé par la police pour reconnaître les délinquants. Et bien sûr, la population n’a pas eu à se prononcer pour une simple mise à jour du logiciel.

Comment prévenir les dérives ? Pour Greenfield, l’ouverture globale des données de l’espace public est une nécessité démocratique. Ces flux d’informations doivent être disponibles pour tous, et non réservés à ceux qui peuvent payer. Malgré les risques possibles de l’ouverture, les bénéfices, selon lui, dépassent largement les inconvénients.

Rééquilibrer le rapport de force entre concepteurs et utilisateurs

“Les architectes et les urbanistes regardent assez peu les usages. Les villes qu’ils façonnent sont souvent désincarnées”, suggère l’un d’entre eux, Alain Renk, à la tête de l’agence Renk & Partner/UFO (pour urban fabric organisation). A Paris par exemple, tout le monde connaît le blocage physique et politique que représente le périphérique, alors que pour beaucoup de Parisiens, il n’est pas vraiment une frontière de vie. Le temps long de la construction des villes est-il une réalité, ou seulement une façon de faire patienter ceux qui vivent dans la ville ? Pourrait-on construire des villes autrement, avec des matériaux plus transformables que le béton, comme on commence à en trouver dans des immeubles mexicains ? Peut-on construire des outils pour permettre aux gens de construire des villes ? Pour qu’ils partagent les évaluations et les décisions ?

C’est un peu toutes ces questions qu’égraine Alain Renk. En prônant une certaine radicalité pour réagir à la standardisation des environnements urbains portés par les grands groupes de construction qui accueillent les grands groupes de consommation. La ville devenue planétaire, “peut-elle encore être un endroit où les gens peuvent développer des projets de vie qui ne soient pas formatés, “robotisés” ?”, s’interroge l’urbaniste.

Alain Renk.

Pour lui, il est regrettable qu’on continue à faire de l’architecture et de l’urbanisme comme avant l’internet, alors que le monde a inventé depuis une autre situation, qui a à la fois une part physique et une part numérique. “Les habitants des villes se retrouvent destinataires de villes qu’on construit pour eux.” Le rapport de force entre constructeurs de villes et utilisateurs se tend toujours un peu plus. Architectes et urbanistes deviennent distants et arrogants, et semblent bâtir des murs uniquement pour tenir les utilisateurs à distance. Or, les habitants connectés en savent plus sur la ville que ceux qui conçoivent les territoires, estime Alain Renk.

C’est cette réflexion qui l’a amené à développer un prototype pour la dernière édition de Futur en Seine, baptisé Villes sans limite (vidéo). Ce dispositif de réalité augmentée permet de modifier l’aspect d’un quartier. Implémentée sur trois sites parisiens, l’application permet de récolter des données sur la façon dont les utilisateurs ont modifié l’urbanisme. Chaque utilisateur peut d’ailleurs observer les options qui se dégagent de ces manipulations, “la radicalité doit utiliser les armes du monde dans lequel on vit”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

making of : Unlimited Cities / Villes sans limite from Unlimited Cities on Vimeo.

Mais l’endroit où l’on est aura-t-il encore de l’importance à l’avenir, ou, au contraire, avec l’internet, seront-ils tous interchangeables ?, questionne Laurent Haug, animateur de cette session. La ville doit offrir des espaces pour travailler, pour rencontrer des gens, pour circuler… Elle doit répondre à l’uniformité, estime Alain Renk, elle doit offrir des alternatives aux endroits où il y a tout… et à ceux où il n’y a rien.

Billet initialement publié sur InternetActu

Photos Pierre Metivier (Saskia Sassen et Adam Greenfield) et Swannyyy (Alain Renk).

Image CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales tarentula_in

Une Elsa Secco pour OWNI

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L’éducation, clef de la désintox aux nouvelles technos? http://owni.fr/2011/06/14/leducation-clef-de-la-desintox-aux-nouvelles-technos/ http://owni.fr/2011/06/14/leducation-clef-de-la-desintox-aux-nouvelles-technos/#comments Tue, 14 Jun 2011 12:26:20 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=67384 Depuis quelques années, on voit apparaître des expériences de “sevrage numérique temporaire“. Très récemment, plusieurs initiatives sont allées dans ce sens dans le monde scolaire et ont fait débat. En parallèle et au même moment sont publiés des avis qui invitent le monde scolaire à faire encore plus pour les technologies. Ainsi l’initiative de l’association Pasc@line ou encore celle de l’UNESCO s’inscrivent-elles dans ce projet, comme bien d’autres précédentes.

L’impression première qui se dégage de la simultanéité de ces actions est qu’un front semble se créer entre deux conceptions, l’une allant vers la rupture avec les technologies, l’autre allant dans le sens inverse. Mais si l’on regarde sur le fond, les deux initiatives vont bien dans le même sens : d’une part elles promeuvent les technologies numériques, d’autre part elles insistent sur l’éducation des jeunes et la formation des adultes.

Sur un plan philosophique on observe cependant l’émergence d’un paradoxe nouveau, bien que pas aussi récent qu’il n’y paraît : les inventions humaines sont devenues tellement complexes qu’elles génèrent des effets multiples sur la société et que seule une organisation sociale de l’éducation et de la formation peut permettre à l’humain ordinaire de s’en saisir. Autrement dit l’acte d’éduquer n’est plus maîtrisé par l’humain, il ne peut plus se faire que par un complément externe, apporté par la société.

Se déconnecter des écrans ?

L’exemple des expériences de “sevrage numérique temporaire” illustre bien cela. Dans une société qui promeut les écrans dans toutes les composantes de l’activité humaine, on observe l’émergence d’individus de plus en plus nombreux qui voient leur vie “transformée”, réorganisée par les écrans de toutes tailles. L’observation des comportements d’usage des téléphones portables, smartphones et autres écrans personnels met bien en évidence ces comportements.

La promotion récente d’actions d’une semaine ou plus de “vie sans ces machines” jusque dans les écoles confirme bien la prise de conscience d’une certaine incapacité humaine à tenir à distance des pratiques et leurs outils connexes. Comme si l’organisation sociale actuelle tentait d’imposer à chacun l’omniprésence des écrans, aussi bien par la publicité et la mode que, plus subtilement, par l’organisation du travail et de la vie sociale. En d’autres termes, au delà de la séduction, c’est l’organisation de la vie quotidienne qui se transforme par l’intégration de ces outils dans les activités.

Les expériences de sevrage numérique sont d’abord des opérations de communication et séduction. Utilisant les mêmes procédés médiatiques elles agitent volontairement l’idée de mise à distance pour faire prendre conscience de la présence. En soi cela peut sembler une bonne chose. Mais la difficulté est de passer de la séduction de l’idée à l’appropriation de l’idée. Les expériences de ce type s’emparent surtout des réactions à chaud des participants mais ne proposent que rarement voire jamais une analyse en profondeur.

Les initiatives de formation des adultes et des jeunes tentent d’aller dans un autre sens et d’intégrer cette mise à distance au sein même des pratiques de ces outils. Le B2i en a été, dès 2000 la meilleure illustration. D’une part la volonté affirmée d’enseigner et d’éduquer venue des autorités. Mais d’autre part la résistance à cette approche par des adultes en charge d’enseigner.

C’est de ce type d’échec que naissent les initiatives de “sevrage numérique”. Aucune des deux solutions proposées ne parvient à ses fins. Certes la deuxième solution bénéficie, pour l’instant, de la force des pouvoirs publics, mais la lenteur de sa mise en oeuvre laisse sceptique et range certaines de ces initiatives dans la même catégorie que les autres : opération de communication et de séduction comme on le voit avec les conférences scolaires sur les dangers d’Internet qui ravissent les adultes, mais n’apportent que peu d’évolution dans les comportements, et surtout pas ceux des adultes eux-mêmes.

Un monde adulte perturbé face aux technologies

Beaucoup diront, ce n’est pas moi, c’est l’autre. Réaction habituelle dans ce cas, chacun se voulant reconnu comme résistant à la séduction des technologies. C’est un peu comme ces pratiques personnelles cachées de la télévision ou d’Internet dont on ne parle jamais et qui permettent d’avoir une apparence distancée quand on en parle en public. On rencontre ces attitudes aussi dans le monde enseignant.

Ce sont pourtant les jeunes adolescents qui nous rappellent souvent à l’ordre. La régulation de consommation d’écran qui apparaît entre 13 et 20 ans montre qu’ils savent eux-mêmes réguler les choses, si tant est que le contexte le leur autorise. Ce sont d’abord eux qui nous ont appris que l’on pouvait choisir ses activités et ne pas subir les effets de l’environnement. Pourquoi ? Parce que la force de l’adolescence est de chercher à donner sens au monde indépendamment de celui prescrit par les adultes. Du coup les comportements extrêmes et les comportements moyens doivent être entendus comme autant de signes de ce sens en train de se construire. Michel Serres a bien saisi cela dans son récent discours à l’Institut. Car les adultes passent souvent à coté…

Les opérations de “sevrage numérique” sont le signe de la désorientation du monde adulte. Elles ne sont pas inutiles, mais elles sont limitées. Les opérations de formation et d’éducation sont les inscriptions instituées de cette désorientation en essayant de mettre du cadre. Mais ce dont on manque de manière fondamentale, c’est ce que les jeunes nous enseignent : la nécessité constante, permanente, tout au long de la vie de construire le sens du monde qui nous entoure.

C’est trop souvent parce que nous faisons l’économie de ce “travail sur soi” que nous ne parvenons pas, autrement que par des dispositifs externes, à situer les objets à leur juste place dans notre organisation sociale. Au nom de logiques de techniques et de progrès jamais interrogées sur le sens, nous nous retrouvons presque dans l’obligation de mettre en place des dispositifs de remédiation. Le risque que ces béquilles ne deviennent des prothèses est réel. Plutôt que de réfléchir au sens, on préfère renvoyer à des dispositifs externes, formation, séance de sevrage, conférences etc…

L’urgence éducative, dans notre monde actuel, est de travailler non pas à la seule recherche du sens, mais surtout à sa permanente construction par les sujets. Autrement dit, éduquer dans notre société ne peut se suffire d’institutions (remplaçantes modernes de la morale religieuse ou laïque d’antan) qui disent le sens. Si cette modalité de vie en société a pu être portée dans les siècles antérieurs, guidés que nous étions par des croyances de toutes sortes, l’exigence de notre société contemporaine est de développer les compétences personnelles à construire du sens.

Quand on dit dans certains textes, donner sens aux apprentissages, on parle souvent de chercher le sens de ce que l’on fait, mais ce que l’on fait est déjà là. Dans cette nouvelle perspective qui émerge, il me semble qu’il faut permettre à chacun de construire le sens, pas seulement à l’adolescence, mais tout au long la vie. Ne jamais oublier qu’on a un jour fait partie des jeunes qui construisent le monde de demain, et que chacun, quelque soit son âge continue à construire. Certains adultes ont renoncé pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs enfants. C’est un signe d’affaiblissement personnel. Les TIC sont une formidable occasion d’interroger à nouveau tous ceux qui ont l’ambition d’éduquer et éventuellement d’enseigner…


Article initialement publié sur “Veille analyse TICE” sous le titre “« Sevrage numérique » et/ou éducation ?

Photos Flickr CC PaternitéPas d'utilisation commerciale par neyssensas PaternitéPas d'utilisation commerciale par MikeNeilson et PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par Mark Brannan.

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Le transhumanisme n’a pas augmenté les bobines http://owni.fr/2011/05/22/le-transhumanisme-na-pas-encore-augmente-les-bobines/ http://owni.fr/2011/05/22/le-transhumanisme-na-pas-encore-augmente-les-bobines/#comments Sun, 22 May 2011 14:00:33 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=62438 Si l’on entend par cinéma transhumaniste les films véhiculant la pensée qui promet à l’homme une vie future augmentée par la technologie, « c’est de son absence qu’il faut parler », tranche Manuela de Barros, philosophe, théoricienne de l’art, spécialiste des rapports entre arts, sciences et technologies. Mécène de la Singularity University, haut lieu de ce mouvement fondé par Ray Kurzweil, Google a contribué à faire connaître ce mouvement. Et du coup, entraîner son lot de méprises. Il ne suffit pas qu’un film mette en scène des cyborgs pour classer ce film dans la catégorie transhumaniste.

« Le cyborg est un objet technique, lié à la science militaire, historique aussi puisqu’il est apparu dans les années 1960, à l’initiative de la Nasa qui souhaitait s’en servir pour coloniser d’autres planètes, précise Manuela de Barros. À ce titre-là, il est aussi idéologique. » Le cyborg, concrètement, est un humain sur lequel on a greffé des composants robotiques à des degrés divers. Sa figure-type, c’est le soldat ou le policier. RoboCop est donc un cyborg poussé à un degré extrême : après sa mort clinique, le policier Alex J. Murphy reçoit un corps artificiel. Seul son visage est de chair.

Le cyborg fait partie des figures du transhumanisme. Avec ce dernier, on se dirige vers la Silicon Valley, l’école de Palo Alto et toute la contre-culture Internet, en quête de l’immortalité. Robotique, nanotechnologies, génétique, drogues, tous les moyens sont bons en particulier les avancées de la sciences, pour améliorer l’homme, allonger son espérance de vie et in fine entrer dans la post-humanité, qui suit le point de rupture aussi appelé singularité. Une idéologie forcément élitiste vu les moyens que sa mise en œuvre requiert, mâtinée d’une bonne pointe d’eugénisme.

Un courant le plus souvent représenté par ses opposants

Ce point théorique fait, on comprend mieux le point de vue de Manuela de Barros : si des films traitent bien de la question, pour elle, aucun ne prône ouvertement sa mise en œuvre. « Les représentation sont souvent issues des anti », analyse Manuela de Barros. Pour elle, cette idéologie récente réservée pour l’heure à une élite, argent oblige, liée au capitalisme dans ce qu’il a de plus démesuré ne peut que susciter la défiance. Jusqu’à présent, les films qui l’ont abordée présentent donc une vision critique.

« On retrouve l’univers cyberpunk qui est dystopique : destruction des structures sociales, de l’environnement, explique-t-elle. C’est le cas de Blade Runner, le film de Ridley Scott adapté de la nouvelle de Philippe K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électrique ?. On pense à la ville de Neuromancien, un mélange de Tokyo et de New York. » Et même, peut-on parler de transhumain à propos des replicants qui sont la figure centrale de cette œuvre, parfaite reproduction, comme leur nom l’indique, des humains, conçus à partir de culture de chair et de peau ? « Il n’y a pas assez de différences, estime-t-elle. Et les humains les méprisent. » Et de fait, ces clones sont la troisième génération de machines-esclaves destinées à être utilisées sur les colonies spatiales pour accomplir des tâches dangereuses. « Les réplicants sont comme n’importe quelle autre machine – ils sont soit un bienfait, soit un risque. S’ils sont un bienfait, ils ne sont pas mon problème. », dit explicitement Rick Deckard, le héros chargé de les détruire après leur rébellion. On est loin d’un dépassement souhaité de l’humain.

Si Bienvenue à Gattaca (1997) met en scène un univers non point glauque mais parfaitement froid, c’est pour en dénoncer l’échec d’une humanité parfaite obtenue aux moyens de manipulations génétiques. Vincent, l’enfant « naturel », finira pas dépasser son frère Anton, issu de méthodes eugénistes.

Chefs d’œuvre de l’animé, Ghost in the Shell 1 et 2 « dépassent la question du transhumanisme : c’est une évidence dans le film. L’auteur refait l’histoire de la robotique depuis Descartes jusqu’à Donna Haraway, l’auteur du Manifeste cyborg, qui y est d’ailleurs un des personnages. Elle va même jusqu’à se débarrasser de son cerveau, elle devient une machine fluide, une pure conscience qui vit dans le réseau. » Ce qui pose la question de la mémoire, qui revient souvent lorsque l’on évoque l’homme augmenté, c’est elle qui confère l’humanité. Ce thème est ainsi présent dans ce dialogue entre le major et son collègue cyborg Batou, après une scène de plongée :

- Je croyais avoir tout vu dans ma vie mais alors un cyborg qui fait de la plongée, j’en reste le bec dans l’eau, je ne savais pas que ça te plaisait de faire des petites bulles avec des poissons. [...]<

- Quand je remonte en surface en état d’apesanteur, j’imagine que je deviens une autre, que je suis une autre, c’est sûrement l’effet de la décompression. [...]

- [...] Depuis que l’homme maîtrise la technologie, il a réalisé la plupart de ses désirs. Ce serait même presque instinctif chez lui. Nous par exemple, nous sommes le nec plus ultra du métabolisme contrôlée. Cerveau boosté, corps cybernétique, c’était tout récemment de la science-fiction, qu’importe si on ne peut pas survivre sans une maintenance régulière et complexe. On n’a pas à se plaindre, les mises au point sont le prix à payer pour tout ça.

- De toute façon, nous n’avons pas vendu nos ghosts à la section 9.

- C’est vrai. Mais si on décidait de démissionner, il faudrait restituer nos corps de cyborg. Et là il ne nous restera pas grand chose. Le corps et l’esprit sont constitués d’innombrables composants. Comme tous ceux qui ont fait de moi ce que je suis, c’est-à-dire un individu avec une personnalité propre, j’ai un visage et une voix qui me différencient des autres, mes pensées et mes souvenirs sont nés auprès de mes expériences, ils sont uniques et je porte au fond de moi mon propre destin. Et ce n’est encore qu’un détail parce que je perçois et utilise des informations par centaines de milliers et tous ces phénomènes, en se mélangeant, en s’associant, déterminent et construisent ma conscience. Et pourtant, je me sens confinée, limitée dans le cycle de mon évolution.

- Et c’est pour ça que tu plonges ? Mais qu’est-ce que tu peux bien voir au fond de l’eau en pleine obscurité ?

- Ce que nous voyons n’est qu’un pâle reflet dans un miroir. Bientôt, nous nous retrouverons face à face.

De ce point de vue, on peut voir les plongées du major comme une métaphore d’une plongée dans les souvenirs. De même, RoboCop est incapable de donner son nom avant de retrouver ses souvenirs en se rendant dans son ancienne maison, où le flic ordinaire qu’il était vivait avec sa femme et ses enfants. Et lorsqu’il répondra enfin « Murphy », ce sera dans un sourire rabelaisien, « pour ce que rire est le propre de l’homme ». Un RoboCop qui n’a rien à voir avec la jolie vision présentée par les pro-singularité, selon laquelle l’humanité prendra cette voie en chantant : le pauvre Murphy n’a pas demandé à être transformé.

De mémoire il est aussi beaucoup question dans Johnny Mnemonic (1994), comme son nom de famille du héros éponyme le suggère : il tire sa racine étymologique du grec ancien mnêmê, la mémoire (cf amnésie, etc.). Son scénario est encore une adaptation d’une nouvelle de Gibson. Le personnage est une mémoire sur pattes puisque son métier consiste à transporter des données.

De même, c’est aussi la chair qui fait l’homme. RoboCop apparait bien fragile quand il ôte son casque pour laisser apparaître son visage, simple ovale blafard qui le fait ressembler à un travesti trop poudré. Sous le capot, l’humanité. Et lorsque le sergent plonge, c’est aussi pour les sensations charnelles que cette activité lui procure : elles sont aussi une façon de se raccrocher à l’humain.

Le super-héros, trop altruiste pour en être

Certains traits du transhumanisme sont présents dans les superhéros mais leur buts humanistes l’en éloignent. Ainsi, Tony Stark, aka Ironman, est d’abord un génie milliardaire complètement égoïste. Il se dote bien volontairement de superpouvoirs en se greffant un cœur atomique mais ne sombrera pas dans l’hybris, préférant sauver la veuve et l’orphelin, comme ses autres camarades de comics. De même, les X-men sont des mutants altruistes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La présence de ces figures en partie artificielles s’accompagne aussi souvent de la question des droits que les humains « pure souche » leur accordent. Sont-ils inférieurs et doivent-ils donc être traités comme tels, abattus comme du bétail – ainsi dans Blade runner – dès lors qu’ils deviennent nuisibles, de par leurs revendications-mêmes ? On retrouve là des questions éthiques qui se posent de façon aiguë avec le clonage. Sur ce point, c’est du côté d’une série B, Moon, que Manuela de Barros nous conseille d’aller voir. Il met en scène un employé d’une station lunaire, persuadé d’être isolé sur le site, et qui découvre qu’il n’est qu’un clone à la durée de vie limitée, destiné à être remplacé par un de ses congénères stockés sur le satellite. « C’est une vision anthropocentrée, le personnage principal est seul sur la Lune, de façon symptomatique : quid des modifications que nous faisons aussi subir à l’environnement ? »

De même que le cyborg ne fait pas le transhumanisme, on notera que l’implant robotique ne fait pas le cyborg. L’exemple le plus connu est Dark Vador. Les films de la trilogie de la guerre des étoiles ont beau avoir ce tag, on n’y pense pas spontanément. Dark Vador est surtout vue comme une figure du mal absolu. Sa « cyborgisation » matérialise son passage du côté obscur, montrée de façon explicite à la fin de La revanche des Sith.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Finalement, les adeptes du transhumanisme devraient peut-être se tourner du côté des films de vampire, Frankenstein et autres golem,  nous suggère Manuela de Barros, pour voir exprimer leur vision au cinéma. À une différence près : foin de la technologie, c’est le surnaturel qui est à l’œuvre pour augmenter l’humain.

[maj 24 mai] : Marc signale en commentaire qu’« il existe au moins une œuvre cinématographique célèbre qui est considérée par beaucoup comme le premier film transhumaniste avant la lettre et c’est bien sûr 2001 l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick. Sans rentrer dans le détail de toutes les métaphores qu’utilise le film, rappelons qu’après avoir surmonté l’épreuve de la rébellion de l’Intelligence Artificielle HAL, l’humain poursuit son voyage vers un état de Conscience “supérieure” (scène finale) au-delà d’une expérience dont on dirait aujourd’hui qu’elle renvoie à une véritable Singularité (la séquence du puits de lumières). »

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Robots: idées, espoirs et défis http://owni.fr/2011/04/22/robots-idees-espoirs-et-defis/ http://owni.fr/2011/04/22/robots-idees-espoirs-et-defis/#comments Fri, 22 Apr 2011 10:43:21 +0000 Laurent Haug http://owni.fr/?p=58618

Billet initialement publié sur OWNI.eu

Robolift [en] a été une conférence magnifique. Pendant trois jours entiers, les robots ont occupé le devant de la scène et toutes ces sessions ont fini par dessiner une image cohérente, à partir des idées principales et des questions autour de ce qui sera un marché majeur du futur. Voici un récapitulatif des principaux points abordés.

Nous pouvons créer des relations affectives avec les robots

Je suis un humain. Parfois il y a des choses auxquelles je crois contre toute logique. Pour moi les robots devaient être des objets avec lesquels nous prenions nos distances. Plusieurs conférenciers ont montré à quel point c’est faux : le robot Paro [en] a été un des exemples les plus frappants. Utilisés avec les malades atteints d’Alzheimer, ce phoque robotisé établit des relations authentiques avec les personnes qui l’utilisent (voir cette vidéo [en] choisissez « PARO pour les patients en Italie »). Au-delà de ces usages spécifiques, de nombreuses conférences ont montré la façon dont nous échangeons avec les robots, que ce soit des enfants aidant leur Roomba à nettoyer le sol de leur salle de bain, ou des gens donnant des surnoms à leurs robots et les considérant comme des membres de leur famille.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comme Alexandra Deschamps-Sonsino [en] l’a souligné durant la séance des questions-réponses, « les robots sont des objets, et nous passons notre vie à créer des liens affectifs aux objets. Vous vous sentez triste si vous cassez un vase offert par votre mamie. C’est la même chose avec les robots, vous êtes en deuil quand ils ne fonctionnent plus. » Les robots sont juste des objets habituels, ma sensibilité et ma culture ont créé une distance curieuse avec cette notion, mais on peut en effet être attaché à eux d’un point de vue affectif.

Les robots n’ont pas vraiment besoin de ressembler à des robots

Pour faire court : les mouvements et les attitudes jouent plus que la forme. Cela ressortait clairement après avoir vu une dizaine de vidéos, comme celles présentées par Fumiya Iida [en]. Ses robots imitent les mouvements des animaux, et il est frappant de constater à quel point cela suffit pour être touché et établir un rapport avec eux. Vous oubliez complètement que vous regardez une pièce de métal et commencez à faire plein de parallèles avec des créatures en chair et en os. Vous vous engagez davantage que lorsque vous regardez des robots humanoïdes qui échouent toujours à recréer efficacement l’aspect humain.

Les robots peuvent faire des choses étonnantes, et des choses stupides

Nous avons vu un robot lanceur de balles, et un robot qui aide les malades d’alzheimer. Nous avons vu Aibo [en] apprendre à reconnaître des objets avec plus ou moins de succès, et des robots qui se battent en Afghanistan. Les lois universelles de l’innovation s’appliquent à la robotique : la technologie est neutre. Ils sont ce que les gens font avec eux, dans leur diversité.

Les robots nous rendent plus sociaux et ils nous rendent moins sociaux.

Un autre domaine dans lequel les robots sont comme les autres technologies (= neutres). Cynthia Breazeal [en] nous a parlé de la façon dont un robot pouvait permettre à une grand-mère de lire une histoire à ses petits-enfants, et donc d’accroître notre sociabilité, rendant possible des échanges qui auraient été sinon plus compliqués, moins amusants, ou impossible.
Mais les robots peuvent également être perçus de façon négative. Nous avons vu des enfants jouer avec leur Roomba mais pas avec les autres enfants. Attendez-vous à ce que beaucoup de gens disent : « les robots nous rendent plus solitaires, nous allons cesser d’échanger avec les humains. » Comme d’habitude, la vérité est nuancée : parfois les robots vont nous permettre d’agrandir notre horizon social, parfois, ils nous feront choisir de communiquer avec une machine plutôt qu’avec d’autres humains proches de nous physiquement.

Des questions restent en suspens sur l’éthique et le droit

La robotique est semblable à l’Internet en 1995. Un espace pour les hackers et les pionniers, qui commence à être reconnu par le milieu du business, avec une poignée de succès à son actif. Le problème (à moins que ce ne soit l’opportunité… ?) est que le domaine est trop jeune pour être encadré juridiquement par les gouvernements qui savent à peine ce qui se passent.
C’est donc à ces pionniers de s’autoréguler. Et nous sommes dans une période de grands questionnements.
Voulons-nous que les robots tuent ? Les drones sont utilisés par les hommes politiques car ils offrent une équation de « rêve » : le combat sans risque de victimes humaines, du moins du côté de l’armée du drone.
Le problème pour Noel Sharkey [en] : le « tampon » créé entre le combattant et le terrain, matérialisé par un délai de deux secondes entre la commande et sa concrétisation sur le terrain.

Apparemment, l’armée recrute la génération jeu vidéo avec des pubs du style « Vous êtes un bon combattant sur votre PS3 ? Venez nous rejoindre, nous avons un bon travail pour vous ! » La guerre civilisée a de nombreux principes, comme appliquer une réponse proportionnelle à une menace particulière. Des capacités de jugement que les robots ne sont pas encore capables d’atteindre (le seront-ils jamais ?), pourtant nous les employons dans nos guerres pour combattre, de façon croissante. Une autre question : qui est coupable si votre Google car écrase un chien sur un passage piéton ? Êtes-vous responsable parce que vous avez signé un contrat utilisateur de 500 pages que vous n’avez jamais lu ou est-ce que les programmeurs sont responsables ? Des quantités de questions sont sur la table, et il faudra sans doutes quelques décennies de débats législatifs et de jurisprudence avant d’avoir des réponses.

Les cultures appréhendent les robots de façon différente

Une des citations marquantes de la conférence est venu de Fujiko Suda [en] qui a répondu à ma question : « pourquoi les robots viennent de pays asiatiques comme le Japon ou la Corée ? » Il a répondu que les Japonais « n’ont pas peur de jouer à Dieu puisqu’ils en ont déjà 8 millions. » Il y a là une idée intéressante : notre culture façonne notre manière de percevoir les robots. Apparemment en Occident, nous considérons tous qu’il existe un être supérieur au-dessus de  nous, le seul autorisé à créer des créatures qui imite la vie à s’y méprendre. Les robots vont, du moins dans notre imagination, égaler un jour les humains dans l’apparence et l’intelligence. Peut-être nous dépasser et devenir hors de contrôle ?

Tout cela conditionne notre perception et nous rend plus nerveux que les Japonais qui voient Dieu dans de nombreux aspects de leur vie quotidienne. Quand ils construisent une machine, ils ne franchissent pas autant de barrières que nous, d’où leur adoption plus précoce de cette technologie. Ce n’est pas le seul facteur (une population âgée qui a besoin de soins en est une autre) mais il est important.

Les robots ont quelque chose à voir avec Dieu

Comme indiqué dans mon précédent billet, il a été question de Dieu un certain nombre fois, et il semble qu’il existe définitivement une relation entre les robots et la religion. Dominique Sciamma [en] a affirmé :

Les robots finiront le travail entamé par Nietzsche, et tueront Dieu.

Peut-être que l’invention et la création de quelque chose d’aussi sophistiqué et intelligent que les humains fera que les Chrétiens reconsidèreront le génie de Dieu ? Si un homme peut le faire…

Dans l’ensemble, les conférenciers ont tous présenté de très bons exposés. Félicitations à Nicolas et toute l’équipe de Lift qui a réalisé un super boulot. Comme Frédéric Kaplan [en] me l’a dit dans le train du retour, « il est rare d’assister à une conférence sur la robotique capable de rendre ce sujet aussi riche d’enseignements, tout en étant provoquant et divertissant. »

Billet publié sur le blog de Laurent Haug sur LiftLab ; traduction Sabine Blanc

Crédits images Flickr CC Dan Coulter, wonderfully complex and tsukubajin

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Un nouvel appendice pour l’espèce humaine? http://owni.fr/2011/04/21/de-la-teratologie-a-lere-numerique/ http://owni.fr/2011/04/21/de-la-teratologie-a-lere-numerique/#comments Thu, 21 Apr 2011 10:20:09 +0000 Xavier de la Porte http://owni.fr/?p=57259 La lecture de la semaine, il s’agit d’un article mis en ligne le 18 mars dernier sur le site de l’hebdomadaire américain The Nation, il s’intitule : “My monster, My Self”; “Mon monstre, mon Moi”, et on le doit à Gary Greenberg, psychothérapeute. Le papier d’origine est très long, son cœur consiste en une critique des livres de Nicholas Carr, The Shallows, et William Powers Hamlet’s BlackBlerry. Critique intéressante, mais je n’ai gardé que le début et la fin de l’article, qui en concentre la thèse. Extraits.

“Un autre membre ou un truc dans le genre”

“Il y a trois ans environ, une famille a fait irruption dans mon cabinet, elle venait pour la première fois. Le père avait de bonnes joues, les cheveux bouclés et un air de chien battu ; la mère, qui était à l’initiative de la consultation, était parfaitement coiffée et maquillée. Leur fille, sujet de la visite, était une jolie jeune fille de quinze ans, mais elle avait l’air maussade, et avançait le dos voûté, comme si elle marchait dans une tempête. Quand ils sont entrés, je leur ai serré la main. La jeune fille, appelons-la Kate, me tendit sa main gauche. Ma réaction fut un regard vers sa main droite, je m’attendais à y voir un plâtre ou une attèle. S’y trouvait en fait un téléphone portable mauve et pailleté, du genre, nouveau à l’époque, de ceux dont le clavier se glisse sous l’écran comme un lit gigogne. Pendant les 50 premières minutes de la consultation, je n’ai vu de Kate que le sommet de son crâne, elle a gardé les yeux fixés sur l’écran et a tapoté sur son clavier sans prêter aucune attention à la discussion. A aucun moment elle ne s’est détachée du téléphone, ni le téléphone d’elle, même quand elle répondait, en vociférant parfois, aux plaintes que ses parents formulaient à son égard. De leur côté, les parents n’ont fait aucun commentaire sur l’occupation de leur fille.

Pendant la visite, je n’ai fait aucune mention ni du téléphone de Kate, ni de l’apparent aveuglement de ses parents quant au comportement de leur fille. Un thérapeute apprend à ne jamais remettre en question trop vite les normes d’une famille. [...] Mais lors de la visite suivante, avant qu’elle ne s’asseye, j’ai demandé à Kate de me donner son téléphone. Ses parents, déjà assis, se sont figés alors qu’elle levait les yeux vers moi. C’était, je m’en rendais compte alors, la première fois que je voyais ses yeux, et j’y ai lu un mélange de peur et de colère, qui n’était pas sans rappeler le raton laveur coincé dans le potager d’un jardinier enragé. “Pourquoi ?”, m’a-t-elle demandé. “Parce que j’ai vraiment du mal à me concentrer quand tu es distraite, lui ai-je dit. Je me demande tout le temps ce qui se passe sur ton téléphone, et je me dis que quoi qu’il s’y passe, ça doit être beaucoup plus intéressant que ce qui se dit dans ce cabinet.” “Ca c’est sûr” a-t-elle répondu. “Évidemment, ai-je repris. Rien ne peut égaler ce qui est sur ton téléphone. Mais il nous faut parfois prêter attention à des choses moins intéressantes.” J’ai tendu ma main, elle y a mis son téléphone. Il était moite. J’avais l’impression de sentir la marque de ses doigts sur les bords arrondis. “C’est presque comme si ton téléphone était une partie de toi”, ai-je ajouté en le posant sur mon bureau “comme un autre membre ou un truc dans le genre.”

De la variation du Moi

“Eh ben c’est le cas, mon gars”, a-t-elle dit en soutenant mon regard. Ce n’était pas la première fois qu’un enfant me renvoyait à l’état de fossile. [...] Mais le fossé qui me séparait de Kate n’était pas culturel ou politique. Il tenait au fait que nous nous faisions une idée différente de nous-mêmes. Mon commentaire, qui n’avait pas de cause particulière, ne lui avait rien appris qu’elle ne sache – à savoir qu’elle était fondamentalement différente de moi, et du reste des adultes avec lesquels elle devait partager la planète. Nous, nous ne n’avions que quatre membres. Elle en avait cinq, et avec cet appendice supplémentaire, elle pouvait s’extraire de son petit moi clos et rejoindre le vaste monde – en tout cas le monde qui pouvait prendre vie dans son écran. [...]

Le Moi change. Pas seulement au cours de nos petites vies, ce sur quoi, nous, les thérapeutes, essayons d’agir, mais il change au cours de l’histoire humaine. L’idée qu’on se fait de l’être humain, de ce que devons attendre de nous-mêmes, de ce qui fait qu’une vie est réussie, des moyens à employer pour la réussir – tout cela est transformé par le temps et les circonstances, d’une manière qu’on ne peut observer que rétrospectivement, et encore, à travers une vitre ternie par les préjugés de celui qui regarde derrière lui. Il est très dur de nous observer nous-mêmes dans une époque qui change, et de comprendre une transformation qui a lieu sous nos yeux, il est encore plus dur de déterminer si on peut agir sur cette transformation.

Je passe sur le long développement central pour arriver à la fin du texte.

L’homme, sorte de Dieu prothétique, sorte de monstre

En 1930, dans Malaise dans la civilisation, Freud écrivait : “L’homme est devenu une sorte de Dieu prothétique. Quand il se pare de tous ses organes auxiliaires, il est magnifique, mais ces organes ne se sont pas développés avec lui et ils lui causent grand souci. L’avenir apportera avec lui des avancées nouvelles et probablement inimaginables dans le domaine de la civilisation, et il accroitra la ressemblance de l’homme avec dieu. Mais dans l’intérêt de nos investigations, nous n’oublierons pas que l’homme d’aujourd’hui ne tire pas grand bonheur de cette ressemblance.”

La métaphore est instructive, reprend Greenberg. “Avec les technologies, suggère Freud, nous ne sommes pas seulement devenus magnifiques, nous sommes aussi devenus des monstres. Kate, avec son téléphone portable, ces piétons dans la ville qui ont les yeux fixés sur des écrans qui leur montrent des images et des mots venus d’ailleurs, ces jeunes et les adultes qui se demandent pour ami et s’envoient des tweets, ne sont-ils pas des dieux prothétiques, qui tiennent le monde entier dans leur main ? Ne sont-ils pas aussi des monstres ?”

“Il y a quelque chose de vraiment magnifique dans l’Internet” dit Greenberg, et il avoue l’utiliser sans cesse. “Le bureau qui me relie au web est ma prothèse, dit-il, de la manière que le téléphone de Kate est la sienne. Et cet organe auxiliaire, qui n’est qu’imparfaitement relié à moi, me cause aussi du souci. L’autre jour, je regardais un film dans lequel jouait Jeanne Moreau, raconte Greenberg, et je me demandais quel âge elle avait au moment du tournage. Avant même que je me formule la question à moi-même, je fis le geste de googler – sauf que mon ordinateur n’était pas là où il devait être. J’avais fait le même geste atroce que l’amputé qui veut attraper une cigarette avec sa main perdue. Je ne sais pas ce qui était pire – la présence-absence de mon appendice fantôme ou le fait qu’il me manque autant.”

Conclusion provisoire de Greenberg : nous sommes devenus méconnaissables à nous-mêmes, nous sommes devenus des monstres.

Le problème dit Greenberg, c’est qu’il est compliqué de faire une critique profonde de la technologie sans devenir un peu réactionnaire, qu’il est impossible de tuer le monstre numérique, sans recourir à des fourches et à des torches. Et puis, ajoute-t-il, “le dégoût est la source de la bigoterie, il voue aux gémonies ce qui est nouveau et différent, il nous amène à oublier ce qu’il y a de sublime dans le monstre.”

Les “Moi(s)” du futur auront peut-être des Bluetooth implantés, des pouces pointus et, qui sait, des yeux sur le sommet du crâne. Ce qui est une prothèse pour nous aura grandi sur eux, mais ils auront de nouvelles coutures auxquelles il faudra se confronter. Et ces futurs auront aussi leurs propres mécontentements, leurs propres monstres et leurs propres passés à remâcher.


Chronique initialement diffusée dans Place de la Toile sur France Culture et publiée sur InternetActu sous le titre “Le “monstre magnifique” de la technologie fait-il changer “le Moi” ?”

Les principales citations de cet article ont été initialement publiées sous copyright dans un article de The Nation, signé Gary Greenberg.

Illustrations CC : Marion Kotlarski, Jean-Pierre Lavoie, Van Den Berge



Retrouvez tous les articles de notre dossier “monstres” sur OWNI.
- “Le corps jugé monstrueux n’a pas d’humanité”
- Freaks: espèce de salles obscures

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Horizon 2020: prévisions pour la prochaine décennie http://owni.fr/2011/04/08/horizon-2020-previsions-pour-la-prochaine-decennie/ http://owni.fr/2011/04/08/horizon-2020-previsions-pour-la-prochaine-decennie/#comments Fri, 08 Apr 2011 10:00:47 +0000 paristechreview http://owni.fr/?p=55624 Que pouvons-nous attendre de bon de 2020 ? Des vols commerciaux dans l’espace, prédit Esther Dyson, femme d’affaires et auteur spécialiste de la technologie. Des percées significatives dans la lutte contre le cancer, répond Michael S. Tomczyk, directeur exécutif au Centre Mack pour l’innovation technologique de Wharton. Une troisième révolution industrielle basée sur les énergies propres, affirme l’économiste et futurologue Jeremy Rifkin.

Mais ne faites pas tout de suite vos bagages pour la Lune. Historiquement, les prédictions se révèlent bien souvent trop optimistes, trop conservatrices ou tout simplement à côté de la plaque. “Ne faites jamais de prédictions”, recommandait le producteur américain Sam Goldwyn, “en particulier sur l’avenir”. Si on considère les performances des prévisionnistes, y compris les mieux informés, le conseil est judicieux.

Et pourtant, le monde change indubitablement, et souvent beaucoup plus radicalement et rapidement que n’importe qui l’aurait imaginé. La politique a toujours ses mystères – presque personne n’avait prédit la chute de l’URSS ou la montée en puissance de la Chine. Certains éléments suggèrent que le Département d’État américain n’avait même pas de plan d’urgence sur la manière de gérer une révolution en Égypte.

Même le monde de la technologie, supposé plus rationnel, s’est montré riche de surprises. Dans les années 1980, rappelle Andrew Odlyzko, mathématicien à l’Université du Minnesota et historien de la technologie, l’influent cabinet de conseil McKinsey & Company avait prédit que le marché américain des téléphones portables atteindrait 800 000 exemplaires en 2000 – une estimation 100 millions en dessous du nombre réel.

A tort ou a raison, voici ce que Esther Dyson, Michael Tomczyk et Jeremy Rifkin nous prédisent pour 2020 – et pourquoi.

Levez les yeux vers le ciel

Interrogée sur sa prédiction la plus folle pour 2020, Esther Dyson a décrit des voyages commerciaux dans l’espace et l’exploitation de ce dernier à des fins commerciales.

D’ici à 2020, un marché commercial dynamique se sera mis en place pour le voyage vers la Lune, vers des astéroïdes et vers des structures en orbites construites par des humains. Les entreprises s’y lanceront dans l’exploration minière des astéroïdes, la production de médicaments délivrés sur ordonnance, la captation de l’énergie solaire et autres activités lucratives, en utilisant pour ce faire la biologie de synthèse aussi bien que des outils de production traditionnels. Et, bien sûr, certaines personnes s’envoleront pour le fun – moi la première, j’espère !

...

Michael Tomczyk, de Wharton, pense également que les voyages dans l’espace arriveront plus vite que les gens ne l’imaginent. “Ayant moi-même été pionnier sur certaines technologies… Je peux témoigner qu’il ne faut pas grand-chose pour lancer une révolution technologique”, affirme Tomczyk, qui dirigeait il y a trente ans l’équipe qui développa et mis sur le marché le premier PC, le Commodore VIC-20, vendu à un million d’unités.

Selon lui, ces vols civils vers l’espace pourraient aussi mener à d’autres innovations : “Personne ne sait quels miracles technologiques apparaîtront au passage, ou comment les découvertes que nous faisons changerons nos vies et les rendront meilleures, mais je suis certain qu’elles seront fondamentales”.

Dans dix ans, des traitements contre le cancer bien plus performants auront aussi été développés, prédit Tomczyk.

Je pense que pour beaucoup de cancers, les possibilités de traitement et de guérison augmenteront considérablement d’ici à 2020, grâce aux nouvelles thérapies qui sont en train d’être développées, qui incluent des vaccins sur mesure contre le cancer, l’utilisation de nanoparticules et de nanomédicaments pour détruire les tumeurs, des tests de diagnostics génétiques et l’identification d’éléments cancérigènes que nous devons éviter »

Une troisième révolution industrielle

Jeremy Rifkin, maître de conférence à Wharton et conseiller de plusieurs gouvernements européens, entrevoit deux voies possibles pour le futur: une catastrophe mondiale provoquée par le réchauffement climatique et la pénurie d’énergies fossiles, ou une troisième révolution industrielle, cette fois-ci s’appuyant sur des énergies renouvelables produites, non pas à la manière du XIXème siècle dans des sites centralisés mais de manière distribuée.

Pour Rifkin, président de la Fondation sur les tendances économiques à Bethesda, dans le Maryland, l’histoire est en grande partie déterminée par la forme d’énergie utilisée par la société. “L’énergie est toujours critique”, dit-il. “C’est la base sur laquelle se crée une économie. Les flux d’énergie sont toujours déterminants, toujours”.

Rifkin place en 1979 le début de l’ère dans laquelle s’inscrit notre futur immédiat, lorsque les réserves de pétrole par tête ont atteint leur maximum. Davantage de pétrole a été trouvé depuis, explique-t-il, mais l’augmentation des naissances a réduit l’importance de ces gains.

De là découle ce qui est arrivé à l’été 2008, lorsque les prix records du pétrole ont provoqué des émeutes de la faim dans 22 pays. “Notre civilisation entière tourne autour du pétrole”, affirme Rifkin. Quand les prix ont atteint 147 dollars le baril, les limites de la mondialisation sont apparues clairement pour la première fois.

Selon lui, c’est ce choc sur le prix du pétrole qui constitua le vrai séisme économique. La crise financière de l’automne 2088 en était juste une réplique, affirme-t-il.

A partir de maintenant, dit-il, chaque fois que l’économie repartira et aura besoin d’énergie, les ressources limitées en pétrole mettront un frein à la croissance. “Le même scenario se reproduira”, dit-il. “La production mondiale mettra une pression trop forte sur les approvisionnements”.

“La prochaine fois que le pétrole montera, ce sera la panique car ils vont réaliser que nous sommes en fin de partie”, prédit Rifkin, convaincu qu’une demande en hausse et une offre en baisse vont conduire au choc.

Je ne vois aucune issue à ça. Ce sont deux tendances irréconciliables.

L’échec retentissant des discussions sur le climat du sommet de Copenhague en 2009 fut aussi une étape déterminante. “C’était probablement le plus gros défi que nous devions relever dans les 175 000 années que nous avons passé sur cette planète – et nous sommes tranquillement rentrés chez nous”, dit Rifkin.

...

Selon Rifkin, l’espèce humaine a cependant une chance de s’en sortir : les énergies renouvelables distribuées.

Dans le passé, les énergies renouvelables n’ont pas pris leur envol en partie à cause d’une difficulté d’ordre conceptuelle : comment pourrait-on générer suffisamment d’énergie nouvelle pour se substituer aux centrales électriques traditionnelles ? Mais dans le futur à énergie distribué de Rifkin, la vieille “usine” à énergie est remplacée par un réseau électrique décentralisé, jouant le même rôle qu’Internet pour la communication. Adieu la radio, bonjour l’iPod.

L’idée clé : chaque parcelle de cette planète reçoit virtuellement une forme ou une autre d’énergie renouvelable, solaire ou éolienne par exemple, explique-t-il. Pourquoi alors collecter cette énergie seulement en quelques endroits ? La nouveauté consisterait à utiliser des compteurs à double sens, qui permettent de produire l’énergie de manière hyper locale et de la distribuer également localement, peut-être même à l’intérieur de l’immeuble ou du quartier. A l’arrivée, de grandes quantités d’électricité peuvent ainsi être produites, de la même manière que l’informatique décentralisé a permis de disposer de la puissance de calcul de milliers d’ordinateurs.

Un regard en arrière

Certaines de ces prédictions se révèleront-elles exactes?

Certes, ces trois experts ont vu juste en plusieurs occasions par le passé – Dyson a compris le potentiel d’Internet bien avant beaucoup de gens ; Tomczyk, outre le développement du premier PC grand public, a collaboré au déploiement des premiers distributeurs automatiques de billets, et Rifkin a anticipé le débat autour des manipulations génétiques dès les années 1970, une anticipation judicieuse parmi d’autres dans sa longue carrière de prévisionniste. Mais comme on dit dans les hautes sphères de la finance, la performance passée n’est pas une garantie des résultats futurs.

Globalement, le futur s’avère étonnamment difficile à prévoir, même pour les futurologues les plus avertis. Michael Tomczyk fait en particulier remarquer que beaucoup de choses dont nous aurions pensé bénéficier aujourd’hui, comme les thérapies géniques, mettent beaucoup plus de temps à se réaliser que nous ne l’anticipions.

Odlyzko affirme, lui, que certains schémas se répètent– nous visons en général trop haut, même si nous sommes parfois dépassés par la réalité. “Nous constatons qu’en moyenne, la tendance a été à trop d’optimisme, en particulier de la part des investisseurs ou des promoteurs commerciaux d’une technologie, mais il y a aussi eu des cas où les prévisions ont été dépassées”, explique-t-il, citant le chiffre beaucoup trop bas donné par McKinsey pour les téléphones mobiles en 2000. Même les fabricants de portables n’étaient pas particulièrement optimistes sur ces derniers: Nokia avait prévu un taux de pénétration des mobiles de 30 % à cette échéance, rappelle Odlyzko.

Les gens comprennent souvent mal l’impact réel d’une invention, explique-t-il. Dans l’Angleterre du XIXème siècle par exemple, ceux qui développèrent les chemins de fer imaginaient avant tout le rail comme un moyen de transporter des marchandises, pas des hommes. L’enthousiasme que suscitèrent les trains de passagers les surprit. “Même les personnes qui ont de forts intérêts financiers en jeu ne réalisent souvent pas le potentiel de ce sur quoi ils travaillent”, dit Odlyzko.

Autre cas d’école : Ken Olsen, fondateur de Digital Equipment Corporation, l’un des plus gros fabricants informatiques dans les années 1970 et 1980, a complètement raté la marche des PC. “Il ne voyait pas pourquoi quelqu’un voudrait d’un ordinateur à la maison”, dit Odlyzko.

Souvent, des conséquences imprévues surviennent aussi. Ces dernières années, beaucoup ont bien perçu le déclin du courrier traditionnel, mais peu ont vu venir les besoins plus importants en livraison de colis que créerait le commerce en ligne.

Dans l’Angleterre du XIXème siècle, le chemin de fer signa assez rapidement la mort des diligences ; ceci a fait craindre une chute de la demande pour les chevaux, ce qui aurait constitué un danger pour la sécurité nationale. En réalité, quand le chemin de fer s’est développé, la demande en chevaux a augmenté. Davantage de biens devaient être transportés au niveau des gares. Ces animaux se révélèrent aussi fort utiles pour déplacer les wagons au niveau des aires d’aiguillages.

Les bateaux à voile devinrent aussi plus demandés lorsqu’eut lieu l’essor de la vapeur – et durèrent encore 50 ans après que les premiers rails soient posés. Les remorqueurs à vapeur les aidaient à éviter le danger des manœuvres d’entrée et de sortie du port. Selon Odlyzko,

les bateaux à vapeur ne pouvaient pas traverser l’Atlantique de manière financièrement compétitive mais ils pouvaient remorquer les bateaux à voile sur une vingtaine de kilomètres le long d’un fleuve, contre le vent.

Finalement, mieux vaut peut-être ne pas savoir de quoi on parle. Ironiquement, certains des meilleurs prévisionnistes existant pourraient bien être les moins qualifiés sur le plan technique. “Je crois que la science-fiction est une prescriptrice trop vite négligée d’innovations de rupture, radicales”, pense Tomczyk. Effectivement, le site Technovelgy.com liste des milliers d’inventions imaginées en premier lieu par des auteurs de science-fiction. Beaucoup de ces inventions sont aujourd’hui techniquement réalisables– des publicités personnalisées de Minority Report aux téléphones portables capables d’embrasser.

Retour sur cet article en 2020, lorsque les touristes enverront – ou pas – des baisers à leurs enfants depuis leur chambre d’hôtel, sur la Lune.


Article initialement paru sur Paris Tech Review

Illustrations CC FlickR: x-ray delta one, vonguard, ninja gecko

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Médias Sociaux: Objectif Thune? http://owni.fr/2011/02/23/medias-sociaux-objectif-thune/ http://owni.fr/2011/02/23/medias-sociaux-objectif-thune/#comments Wed, 23 Feb 2011 10:02:27 +0000 Damien Van Achter http://owni.fr/?p=47906 Vendre du customisé goûtu plutôt que du standard lyophilisé, adresser des messages pertinents au compte-goutte plutôt que de vomir du “pack-shot 4 ans et +” à la grosse louche, intégrer le feedback de ses utilisateurs dans les process “qualité”  plutôt qu’à à la rubrique “frais d’avocat”… il aura fallu vingt ans à l’Industrie pour percuter que les conversations entre individus pouvaient s’avérer bankables.

e-Marche. Ou Crève

L’avènement du web comme une gigantesque bourse d’échanges d’opinions entre consommateurs pro-actifs ne lui laisse pas le choix. La brèche ouverte il y a trente ans s’est élargie grâce aux forums d’abord, aux blogs ensuite, et est à présent complètement dilatée par Facebook et les réseaux sociaux.

Les pratiques commerciales, que l’on vende des savonnettes ou des arbres morts imbibés d’encre, mutent génétiquement, durablement et à une vitesse ko-lossale. Et s’en convaincre n’est pas chose aisée, surtout quand votre business model repose sur la certitude de votre bon droit à faire du pognon avec des produits dont les individus n’ont pas vitalement besoin. Soit environ 90 % des rayons de nos supermarchés occidentaux, y compris ceux 100 % en ligne.

L’Industrie globalisée a déifié l’immédiateté du retour sur investissement. Plus que jamais, pas un kopeck ne sort sans qu’il n’en rapporte 2 (ou 3 ou 1.000) dans le mois, au pire dans l’année, selon des processus de décision et de communication éprouvés et, croyait-on, bien mesurés. Dans l’univers top-down des DG en silos, il suffisait de saturer “son” audience de messages positifs, quitte à la tromper sciemment, pour que cette autorité auto-proclamée rassure le système du bien-fondé de son existence même. “La loi de l’offre et la demande” inscrite au frontispice de Wall Street ne signifiait rien d’autre que “nous savons ce qui est bon pour vous. Consommez et fermez-la”.

Oui mais voilà, le web, de par sa nature même, a rendu ces processus verticaux improductifs, voire sclérosants. L’interconnexion des individus, selon le principe de “une adresse ip – une voix”, et la neutralité jusqu’ici préservée des tuyaux physiques, ont révélé toute l’impuissance du système à formater des comportements sur base d’une autorité mal acquise. Et pas de chance, on ne vend ni n’achète la confiance, cette denrée qui peut prendre une vie à construire et une seconde à détruire, et qui constitue pourtant, avec l’empathie, le coït et les moules frites, l’essence même de notre humanité.

Face à ce réchauffement systémique dû aux frictions permanentes des individus sur la Toile, l’Industrie n’a d’autre choix que de se mettre à l’écoute de ses plus vifs contestataires. “Parce que, in fine, un gars qui gueule sur Twitter contre la programmation de sa radio, c’est que quand même, quelque part, il l’apprécie et se reconnaît en elle.”

Vers une économie de l’Intention

Jamais la technologie n’a été aussi puissante et les outils aussi nombreux pour monitorer l’activité des individus en ligne. Mais mettez bout à bout tous les Watson du monde et vous verrez de quelle utilité ils vous sont pour faire l’amour à votre femme, réconforter vos enfants ou accompagner un ami en fin de vie…

Tous les secteurs ou presque de l’Industrie switchent, un par un, de gré ou de force, mais toujours au détriment de ses intermédiaires incapables de faire approuver leur utilité par une “communauté d’intérêts” au sein des publics de l’interweb. Les autres, ceux qui ont compris que le pair-à-pair dynamisait leurs marchés plutôt que de les dynamiter, montent en puissance sans un regard aucun pour les dinosaures en train de suffoquer sous leur propre poids.

De nouveaux services aux publics naissent chaque jour, organiquement, et comblent ces vides conversationnels abandonnés par l’Industrie (et, au passage, la Démocratie) qui, trop occupées à curer de façon palliative leur entropie et leurs sinistres hiérarchies, en oublient de défendre des visions d’avenir pour les individus à qui, en principe, elles sont censées s’adresser.

Car c’est bien de cela dont il s’agit. Derrières vos façades siliconées et vos PR encostumés, fussent-ils élus, vers où nous emmenez-vous ? Do you have a dream ? Et si oui, pourquoi n’en parlez-vous pas ?

Mon paternel, qui aurait pu faire fortune sur le dos de ses patients, a préféré se placer à leurs cotés en leur demandant quel était le poids qu’ils portaient pour ainsi courber l’échine. Manipuler une vertèbre pour les aider à relever la tête et leur redonner envie d’être en vie. Regarder loin, c’est déjà y mettre un pied. Fixez vos métacarpes et c’est la gamelle assurée.

Demain, tous matelots ?

Si j’en crois Wikipédia, “Vivre d’industrie“ signifie “trouver moyen de subsister par son adresse et par son savoir-faire“.  À l’heure des réseaux, cette subsistance passe par la capacité à effectuer ce saut vers les inconnus qui expriment, parfois vertement, aux capitaines du 21e siècle leurs aspirations quant à la direction et la cadence du navire dans lequel ils ont grimpé en effectuant l’acte d’achat de leur ticket d’embarquement. Tout comme se croire paquebot lorsque l’on n’est que rafiot, les ignorer, c’est prendre le risque d’une mutinerie qui enverra pour sûr l’esquif par le fond.

Enfin, pour votre gouverne, si les pirates des temps modernes se saoulent d’HTML, c’est sans doute parce qu’ils ont compris que la faiblesse des pratiques commerciales, médiatiques et politiques résidait précisément dans leur code génétique qui, faut-il encore le répéter, est en mutation. En les prenant à son bord (et pas en les envoyant par-dessus) et en laissant agir leur fougue créatrice, l’Industrie peut s’offrir une bouffée d’air pur innovant, qui agira comme un antibiotique face à ce désespérant cancer du tout-maintenant-tout de suite.

Les patrons des industries de demain seront ceux qui auront réussi à combiner les talents technologiques, à canaliser les énergies renouvelées des conversations entre êtres humains, à générer de la valeur ajoutée en incluant plutôt qu’en excluant les caractères dissonants et à gagner de l’argent en étant capables de se regarder le matin dans le miroir. Parce qu’ils auront la certitude d’avoir été utiles, vraiment.

Vous pouvez retrouver les autres articles associés: Facebook, keep it simple et Pourquoi les réseaux sociaux sont vitaux pour les artistes

Illustrations Flickr CC Eole, Haigil30 et Gadl.
Image de Une: Copyright Fotolia

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La SNCF et l’écologie: essai en cours de transformation http://owni.fr/2011/02/15/la-sncf-et-lecologie-essai-en-cours-de-transformation/ http://owni.fr/2011/02/15/la-sncf-et-lecologie-essai-en-cours-de-transformation/#comments Tue, 15 Feb 2011 16:37:19 +0000 Ludovic Bu http://owni.fr/?p=38036 Lors de mes conférences, je cite régulièrement la SNCF comme le meilleur exemple d’une entreprise ayant pour stratégie une intégration horizontale de l’ensemble de la chaîne de mobilité. La compagnie de transports française a, en effet, parfaitement compris le fait qu’un voyageur souhaite qu’on le prenne en charge depuis son point de départ et jusqu’à son point d’arrivée, et non uniquement sur des tronçons de trajets (par exemple d’une gare à une autre). Challenge que seule la voiture individuelle en possession propre réussissait à relever jusqu’à présent, en étant présente dans votre garage et vous amenant jusqu’au parking de votre lieu de destination (voire vous permettant de ne pas avoir à sortir de votre auto en utilisant des services de “drive thru”).

Quand une entreprise publique agit pour l’environnement

Dans cette logique, la SNCF a totalement intégré Keolis (transports en commun locaux, un peu d’auto-partage) et Effia (stationnement, principalement à l’abord des gares, services de vélos, etc). Elle a également lancé le fond d’investissement “éco-mobilité”, doté de 15 millions d’euros, pour entrer dans des start-ups offrant des services permettant de compléter cette chaîne de mobilité. Lors de sa conférence annuelle “rencontres clients”, j’ai découvert qu’elle allait beaucoup plus loin dans sa mise en oeuvre de principes et d’actions en faveur de déplacements moins impactants écologiquement.

Pourtant, de prime abord, je ne m’attendais pas que ce gros paquebot industriel soit à la pointe de l’innovation dans ce domaine. A la fois parce qu’il est toujours difficile de manoeuvrer un tel navire. Qui plus est pour le transformer d’une entreprise de cheminots qui font rouler des trains en une entreprise multi-services orientée voyageurs. A la fois parce que le discours simplifié de la SNCF consiste à expliquer que prendre le train est un acte écolo, car cela pollue moins qu’un même trajet effectué en voiture ou en avion, sans jamais remettre en question l’utilité même des multiples causes de déplacements. Enfin, parce que l’image communément associée à l’entreprise est moins celle d’une entreprise innovante que celle d’une compagnie publique toujours au bord du déficit et à deux doigts de la grève paralysante pour notre pays (image très caricaturale, d’ailleurs, car les jours de grèves ne sont pas si nombreux, mais ils sont très visibles).

Eh bien, lors de la rencontre client 2011, j’ai mangé mon chapeau, et j’ai découvert une entreprise à la pointe dans le secteur. Les initiatives sont lancées tous azimuts, et cela ne semble être qu’un début. Parmi la multiplicité des projets présentés, mon attention a particulièrement été attirée par le projet de gare HQE de Besançon, le nouveau service de mobilité totale à Pau et la transcription audio des affichages visuels à Nancy.

Réjouissances pour les voyageurs dès décembre 2011

La gare HQE ouvrira au public en décembre 2011. Ce sera la première gare en Europe labellisée Haute Qualité Environnementale. Elle sera notamment chauffée au bois et en partie enterrée, ce qui lui permettra d’avoir toujours naturellement au moins une température de 10°. Quant au second projet, la principale innovation est que, désormais, les Palois peuvent utiliser des services de transports en commun, d’autopartage et de location de vélo avec une seule carte et une seule tarification, assurant ainsi une facilité d’usage bien nécessaire pour imposer des modes alternatifs à la voiture individuelle.
Enfin, à Nancy, 120 mal et non voyants peuvent désormais entendre ce qui est affiché sur les panneaux de la gare, en temps réel ! Ce service est également disponible à Amiens et Orléans, et est en cours d’installation à la Gare de l’Est. Outre l’autonomie qu’il procure à ses utilisateurs, pour une fois pas obligés de demander à quelqu’un de leur lire ce qu’ils ne voient pas, j’y vois aussi un début de réponse pour aider tous ceux qui ont des difficultés avec la lecture, et pour qui il est handicapant pour se déplacer.

Mais, si ces trois projets ont retenu mon attention en particulier, il faut que j’ajoute qu’ils s’inscrivent dans un impressionnant ensemble de nouveautés ! Jugez-en vous même : carte interactive vélo + TER en Bretagne, Tram-train à Mulhouse, 25 tonnes de paniers fraîcheurs livrés chaque jour dans 80 gares (uniquement avec des produits de saison et de la région), expérimentation d’une locomotive hybride en vue d’une industrialisation, diminution de 7% des émissions carbones provoquées par la restauration à bord des Thalys (soit 2% de l’empreinte carbone totale de ce train), lancement de la V2 de l’éco-comparateur, création de pas@pas, une plateforme partagée d’achats responsables ou encore lancement de CO2Go, un éco-comparateur individuel en temps réel.

Seul petit bémol, la promotion du covoiturage pour aller dans les gares d’Ile de France, qui a tout de la fausse bonne idée dans son organisation actuelle. En effet, le système, basé sur un site web de mise en relation entre voyageurs, est présenté comme permettant de diminuer le nombre de voitures se rendant dans les gares tous les jours, et donc de la place nécessaire pour les parkings, alors que c’est plutôt la diminution du nombre de parkings aux abords des gares et la réservation des places disponibles aux seuls covoitureurs qui permettra l’augmentation de la pratique. D’ailleurs, aucun chiffre n’a été présenté pour appuyer la démonstration des orateurs, ce qui laisse penser qu’il n’y en a pas…

Mais c’est un bien petit bémol comparativement à tous les points abordés à l’occasion de cette rencontre. D’autant qu’au cours de la séance des questions / réponses, la langue de bois usuellement pratiquée par d’autres dans ce type de circonstances avait été remisée au placard, les principaux dirigeants de la société acceptant la remise en question (notamment du tout vitesse) et répondant parfaitement à mes interrogations. C’est aussi pourquoi, et au vu de cet immense ensemble d’initiatives, j’ai le plaisir de reconnaître que la SNCF est en passe de réussir son pari de devenir l’acteur majeur et incontournable de l’éco-mobilité ! A condition de déployer largement toutes ces bonnes initiatives dans l’ensemble des gares et trains de la compagnie, bien sûr.

Publié initialement sur Le blog de Ludovic Bu sous le titre SNCF: naissance d’un acteur majeur de l’éco-mobilité

Illustrations Flickr CC Mhliaw et Mgrenner

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